07 août 2007

Les couturières de Gee's Bend créent des œuvres d'art avec des morceaux de tissu

Des Afro-Américaines se font un nom en cousant des « patchworks » originaux.

 
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Patchwork cousu par Mme Mary Lee Bendolph en 2005. (Photo Musée d'art Walters)

Washington - À Gee's Bend, une petite ville isolée de l'Alabama, depuis des générations, des femmes noires créent des « patchworks » aux dessins géométriques et aux couleurs audacieuses d'une beauté remarquable, mais il n'y a pas très longtemps encore, leurs ouvrages étaient méconnus en dehors de leur collectivité.

La plupart des 750 habitants de Gee's Bend sont des descendants d'esclaves qui travaillaient dans les plantations de coton locales et qui, une fois l'esclavage aboli en 1863, se sont mis à cultiver la terre. De tout temps, les femmes de la communauté ont utilisé leur imagination pour confectionner des courtepointes à partir de tout ce qui leur tombait sous la main : morceaux de tissu pris sur de vieilles robes, des vêtements de travail, des coupons de velours de l'usine, des sacs de farine ou d'engrais, et même des vêtements trouvés au bord de la route. Elles utilisaient la bourre de coton qui restait après le cardage pour matelasser les ouvrages qu'elles confectionnaient le soir après avoir passé la journée dans les champs de coton.

« Nous tirions le meilleur parti possible de ce que nous avions », explique Creola Pettway dans un documentaire les concernant, intitulé : « Les patchworks de Gee's Bend ».

« J'étais fatiguée, mais il fallait bien que je le fasse, car je devais protéger ma famille du froid », se souvient Loretta Pettway.

« Après avoir fini la récolte, c'était le seul plaisir que nous avions, nous asseoir autour d'une courtepointe en production, parler et chanter », ajoute Arlonzia Pettway.

Les ouvrages étaient aussi une source de revenus et, souligne Essie Bendolph Pettway, ceux que sa mère Mary Lee a tirés de la vente des siens lui ont permis de payer les études universitaires de son frère.

Aujourd'hui, le monde des arts les a remarquées et leurs œuvres se vendent de quelques centaines de dollars jusqu'à 20.000 dollars. Elles ont fait l'objet d'expositions dans une douzaine de musées des États-Unis ainsi que dans plusieurs ambassades des États-Unis, notamment en Arménie, en Géorgie et au Kazakhstan. Elles sont aussi représentées sur des timbres-poste.

Mme Arlonzia Pettway, une des couturières de Gee's Bend. (Photo Musée d'art Walters)

« C'est un art qui mérite la notoriété », a expliqué à l'USINFO M. Bernard Herman, titulaire de la chaire d'histoire à l'université du Delaware. « Il incarne la présence de l'art dans la vie quotidienne, que nous avions perdu de vue. »

M. Herman, qui s'exprimait au Musée d'art Walters, à Baltimore, dans le cadre d'une exposition de 45 patchworks de Gee's Bend, a précisé que certaines couturières, notamment Mary Lee Bendolph, confectionnent tout l'ouvrage chez elles, alors que d'autres emportent des carrés de morceaux rassemblés pour le patchwork à la coopérative « Gee's Bend Quilters Collective » pour la finition. Aujourd'hui, les femmes utilisent principalement des tissus qu'elles achètent. Elles continuent cependant à transmettre leur savoir-faire à leurs filles, petites-filles et autres filles de la communauté.

« La fabrication d'un patchwork relève tout autant des liens qui rassemblent une collectivité que de la façon de confectionner une courtepointe », a-t-il souligné.

« À l'heure actuelle, tant de choses sont fabriquées à la machine. Ces ouvrages sont faits à la main », a fait valoir pour sa part Mme Tosha Grantham, l'une des responsables de l'exposition, ajoutant : « Même si les petits morceaux sont cousus à la machine, beaucoup de gens finissent le travail - la surpiqûre - à la main. »

En 2003, avec l'aide de « Tinwood Alliance », une fondation sans but lucratif qui vient en aide aux artisans afro-américains, une cinquantaine de couturières ont formé la coopérative « Gee's Bend Quilters Collective » pour commercialiser leurs ouvrages. Les membres de la coopérative se partagent les recettes, mais certaines couturières vendent aussi leurs œuvres indépendamment. Nombreuses sont celles qui ont pu faire réparer leur maison, acheter des appareils électroménagers et donner de l'argent à leur église grâce aux revenus qu'elles en tiraient.

Il n'en demeure pas moins que Gee's Bend, connu officiellement sous le nom de Boykin (Alabama) est une bourgade pauvre qui manque non seulement d'argent, mais de services fondamentaux.

Cette situation est due en partie au fait qu'elle est très reculée. Située à une soixantaine de kilomètres de Selma, elle est bordée sur trois côtés par la rivière Alabama. La ville de Camden, siège de la circonscription où les gens font leurs courses, vont à l'école et voient le docteur, se trouve à une heure de route. En 1962, les autorités locales, des Blancs, avaient fait cesser le service de ferry reliant Boykin à Camden pour empêcher les Noirs, qui n'avaient en général pas de voiture, de voter et, pour des raisons économiques, ce service n'a été rétabli qu'en novembre 2006.

Malgré ces circonstances, qui ont peut-être été leur source d'inspiration, les courtepointes de Gee's Bend sont le reflet de l'une des pratiques artistiques contemporaines les plus remarquables des États-Unis. « J'en ai vu 800 ou 900, mais jamais deux semblables », a fait remarquer M. Herman.

« C'est une très belle chose que ces couturières reçoivent autant d'attention, que leurs ouvrages aient acquis une telle renommée (...) après avoir manqué des ressources matérielles dont beaucoup d'Américains bénéficient », a souligné Mme Tosha Grantham, ajoutant : « Par nécessité, les femmes de Gee's Bend ont réalisé de superbes objets qui n'étaient pas nécessairement des objets d'art pour elles, mais simplement un moyen de se protéger du froid. Je pense qu'ils incarnent véritablement le triomphe de la persévérance, de la foi et de la créativité. »

Parrainée par le Musée des beaux arts de Houston et l'Alliance Tinwood, l'exposition doit être montrée dans sept villes des États-Unis. Au Musée Walters de Baltimore, elle doit durer jusqu'au 26 août et elle s'accompagne d'une exposition de photographes prises à Gee's Bend par Lynda Day Clark.

(Les articles du "Washington File" sont diffusés par le Bureau des programmes d'information internationale du département d'Etat. Site Internet : http://usinfo.state.gov/francais/)

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