eJournal USA: Perspectives économiques

Kids in Need : la solution d'une ONG

Christopher Wakiraza

revue électronique


Sommaire
Avant-propos
Introduction
Le monde doit mettre fin en priorité au travail des enfants
L'abolition du travail des enfants: un impératif moral et un problème de développement
La lutte contre la traite des enfants à l'échelle mondiale
L'action du Congrès contre l'exploitation des enfants par le travail
Comprendre le travail des enfants : tendances, formes et causes
Le travail des enfants au Brésil : l'action décisive des pouvoirs publics
Kids in Need : la solution d'une ONG
Les moyens de lutte contre le travail des enfants : la méthode de l'industrie d'articles de sport
Bibliographie
Sites Internet
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Street children pick scrap for survival
Les enfants de la rue sont les plus grandes victimes du travail des enfants. Ils ramassent les ordures pour survivre et parfois n'en trouvent pas.
Photo offerte par Kids in Need (Ouganda)

Kids in Needs (KIN) est une organisation non gouvernementale ougandaise qui aide les enfants de la rue, sujets aux pires formes du travail des enfants. Dans des centres situés à Kampala, à Mbale et à Wakiso, elle met à leur disposition un lieu d'hébergement, une prise en charge psycho-sociale, une formation scolaire, des soins médicaux, entre autres, en s'employant à les réinsérer dans la société. Kids in Needs tire une juste fierté d'avoir ainsi récupéré environ 800 jeunes, qui sont aujourd'hui des membres productifs de la société.

M. Christopher Wakiraza est le directeur de cette association, qu'il a lui-même fondée en 1996.

L'Organisation internationale du travail (OIT) estime à plus de 246 millions le nombre d'enfants astreints à une forme quelconque de travail. Près de 80 millions d'entre eux vivent en Afrique subsaharienne, y compris en Ouganda, mon pays natal. Les jeunes Ougandais travaillent dans les plantations et dans le secteur non structuré, y compris dans le commerce du sexe. La plupart des jeunes travailleurs ougandais employés dans l'économie parallèle vivent dans la rue.

Selon les estimations du professeur Mike Munene, de l'université Makerere à Kampala, 10.000 jeunes Ougandais étaient des enfants de la rue en 1995. Depuis, leur nombre s'est multiplié en raison des difficultés sociales et économiques du pays liées au sida, à la pauvreté et aux conflits internes.

Ali et Ssembi

En Ouganda, les jeunes de la rue sont assujettis aux pires formes du travail des enfants. C'est en 1996 que j'ai pleinement saisi l'ampleur de ce problème. Je venais de finir mes études universitaires et je m'apprêtais à occuper un poste à l'université. Cette année-là, alors que j'étais à Kampala, je fis une rencontre qui allait se révélait déterminante.

Deux jeunes garçons, pauvrement vêtus, jetaient des cailloux sur une voiture garée dans une aire de stationnement. Intrigué, je décidai de suivre ces enfants. Ils poursuivirent leur chemin jusqu'à la place publique et s'arrêtèrent sous l'immense manguier, là où se rassemblent les gens pour tuer le temps. Je m'approchai d'eux gentiment : l'un répondit à ma salutation, tandis que l'autre se détourna dans un mouvement de colère.

D'une voix douce, le premier me dit qu'il s'appelait Ali et que son compagnon s'appelait Ssembi. Ils étaient l'un et l'autre des enfants de la rue qui passaient la plupart des jours et des nuits à travailler, se reposant seulement quand leur vie n'était pas menacée. Leur journée de travail commençait en général à 3 heures du matin et prenait fin peu après minuit. Ali vendait des ananas pour le compte d'un marchand, tandis que Ssembi était cireur de chaussures sur un trottoir. Les deux garçons avaient fait connaissance en prison, où ils avaient fait de nombreux séjours.

Vivre dans la rue est une source d'instabilité constante pour les enfants. Ils gagnent si peu d'argent qu'ils ne peuvent même s'offrir ne serait-ce qu'un bon repas par jour. C'est pour cela qu'ils se tournent souvent vers la délinquance. Les règlements de comptes et les peines de prison sont leur lot. Les nombreuses cicatrices d'Ali et de Ssembi, aussi bien que les blessures fraîches sur leur corps, n'avaient donc rien de surprenant.

Je quittai les deux enfants en leur promettant de les revoir plus tard.

Raising awareness of child labor issues in Kampala
La mobilisation de la population au problème du travail des enfants à Kampala (Ouganda).
Joel Grimes, ministère du travail des États-Unis.

À l'époque, j'étais loin de me douter que ma rencontre avec Ali et Ssembi déboucherait sur la création d'un programme de lutte contre le travail des enfants de la rue. L'idée que des êtres humains, en particulier des enfants, menaient une existence pire que celle des bêtes sauvages me perturbait profondément. J'essayais de me convaincre d'oublier toute cette histoire, mais je n'y arrivais pas. Il y a des aspirations qui sont ancrées au plus profond du cœur de l'homme. Je ne pouvais pas me soustraire à une obligation aussi pressante.

Quelques jours plus tard, de retour à Kampala pour régler des affaires personnelles, j'appris par un chauffeur de taxi que deux enfants sales et mal vêtus venaient tous les jours sur la place publique à la recherche d'un homme venu d'Entebbe. D'après leur description, le chauffeur était convaincu que c'était moi qu'ils recherchaient. Je le chargeai donc de dire aux enfants que j'irais les voir le vendredi de cette même semaine. Étant fort affairé, je partis vaquer à mes occupations. C'est en allant déjeuner ce midi-là que je fus saisi de la pire vision cauchemardesque que j'aie jamais connue.

La vie d'un enfant de la rue

Je commençai par comparer mon repas aux détritus que ces deux jeunes garçons seraient contraints à piocher dans les poubelles, alors qu'ils travaillaient si dur. Deux mondes très distincts se dessinèrent dans mon esprit. Sur-le-champ, je décidai de partir à la recherche des deux jeunes sur leur lieu de travail. J'appris que Ssembi était de nouveau en prison et qu'Ali avait rejoint une bande de malfrats qui vendaient de la drogue et du combustible pour moteur à réaction aux toxicomanes qui inhalent des solvants. Il avait maigri, il était malade et il avait l'air pitoyable.

Pour survivre, chaque enfant dans la bande devait travailler très dur. Certains vendaient leur corps à des adultes en échange de nourriture ou pour quelques sous ; d'autres portaient de lourdes charges, vendaient de la drogue ou commettaient des actes de délinquance en bande.

À bien des égards, le spectre de la mort plane constamment sur les enfants de la rue. Les tâches dangereuses qu'ils accomplissent entraînent des troubles physiques chez un grand nombre d'entre eux. Leur croissance est freinée, la gangrène attaque leurs membres, ils contractent la tuberculose et ils souffrent d'affreuses plaies ulcéreuses, sans parler bien sûr des afflictions courantes, maux de tête par exemple. Ils deviennent alors indifférents à tout. Tomber malade est l'une des pires choses qui puissent arriver à un enfant de la rue. Personne n'est là pour s'occuper de lui, mais il doit quand même survivre.

La plupart des enfants de la rue sont incapables de communiquer avec autrui parce qu'ils sont sous l'effet de stupéfiants. Tous disent ne pas pouvoir s'en passer. L'un d'eux me raconta qu'un jour, malgré sa fatigue, il avait porté sur 5 kilomètres un paquet très lourd pour une dame qui avait refusé de le payer. Affamé et désespéré, ce soir-là, il avait mangé des excréments humains qu'il avait trouvés dans un sac enfoui dans une poubelle.

La pénible existence d'Ali et de Ssembi me poussa à enquêter sur la vie des enfants de la rue à Kampala et à partager leurs jours et leurs nuits. Dans les mois qui suivirent, avec l'aide d'Ali, je fis peu à peu la connaissance de beaucoup d'autres enfants qui travaillaient dans la rue. J'appris que chaque bande avait un emplacement qui lui était propre, appelé un « dépôt  ». Les enfants des dépôts ne voulaient pas dormir dehors, où il faisait froid, ni manger des ordures ou faire des travaux pénibles et difficiles. Ils ressentaient un mélange de colère et de découragement.

Grâce à l'intervention des jésuites de Kampala, 10 enfants de la rue purent se faire héberger dans une maison de location. Ils emménagèrent, apportant pour tout bagage les boîtes de carton qui leur servaient de matelas et les sacs en polyéthylène dont ils se couvraient pour rester au chaud quand ils dormaient dehors. L'association Kids in Needs était née.

Boys learn carpentry skills in a transition program sponsored by Kids in Need
Des jeunes garçons apprennent la menuiserie dans le cadre d'un programme réservé aux enfants de la rue.
Joel Grimes, ministère du travail des États-Unis.

Kids in Need

Notre association aide les jeunes Ougandais qui vivent et qui travaillent dans les rues. Elle identifie ceux qui sont victimes des pires formes de travail des enfants et ceux qui risquent de se faire embrigader. Elle gère trois centres de district (à Kampala, à Mbale et à Wakiso) qui mettent à la disposition de ces jeunes une assistance psycho-sociale, une formation scolaire structurée aussi bien que non structurée, des soins médicaux et d'autres nécessités. En outre, nous menons une action préventive visant à éradiquer les pires formes de travail des enfants. Nous avons ainsi créé des affiches, des T-shirts, des brochures et des jeux que nous disséminons dans les zones d'intervention de l'association à l'occasion de nos activités de formation et de mobilisation.

Les enfants qui sont retirés des occupations les plus dangereuses sont placés temporairement dans l'un des centres en vue de leur réadaptation. Ils participent à des activités rémunératrices avant d'être réinsérés dans la société.

La réinsertion des jeunes revêt trois formes, selon les cas. Un enfant très jeune (de 12 ans ou moins) est souvent replacé dans sa famille si celle-ci est encore intacte. La plupart du temps, s'il est plus âgé ou qu'il ne peut pas retourner chez ses parents, on s'arrange pour qu'il soit accueilli par un membre de sa famille élargie ou par des amis. La troisième possibilité, c'est que le jeune vole de ses propres ailes. S'il a au moins 15 ans et qu'il a une formation professionnelle quelconque, on l'aide à trouver du travail et un logement modeste, souvent une chambre seulement.

Les aides à l'appui de la réinsertion proviennent essentiellement du Programme international pour l'abolition du travail des enfants (IPEC) qui relève de l'Organisation internationale du travail (OIT) et qui est financé en partie par le ministère du travail des États-Unis. L'association de défense des droits de l'enfant Terre des Hommes Hollande et l'organisme de coopération au développement DKA Autriche apportent également leur soutien sous la forme de dons de vivres, de prise en charge des frais de scolarité, de prestations médicales et du versement de salaires.

Depuis près de dix ans qu'elle existe, notre association a soulagé les souffrances de plus de 800 jeunes Ougandais, lesquels sont devenus des membres productifs de leur communauté. Pour ces 800 jeunes, leur histoire se finit bien. Mais pour les milliers d'autres qui continuent de vivre et de travailler dans les rues des villes ougandaises, il reste encore de nombreux chapitres à écrire.

Les opinions exprimées dans le présent article ne reflètent pas nécessairement les vues ou la politique du gouvernement des États-Unis.

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