Qu’est-ce que l’avenir nous réserve ? La défense, les budgets et la crise financière

Lors de l’édition 2009 du salon aéronautique de Paris, les commandes du secteur de la défense ont dépassé celles du secteur commercial

Comment le fait de devoir se serrer la ceinture va-t-il se répercuter sur l’organisation des dépenses militaires ? Et quand la défense va-t-elle ressentir les difficultés financières ? Derek Braddon se penche sur les répercussions de la situation au niveau des fournisseurs, des clients - et des alliances.

« Les économistes sont des pessimistes : ils ont annoncé huit des trois dernières récessions » a ironisé un jour Barry Asmus, économiste sénior au « National Center for Policy Analysis ». Pessimistes ou non, pour ceux d’entre nous qui ont passé toute une vie à étudier l’économie, avec le récent resserrement du crédit mondial, le « credit crunch », et ses retombées politiques, notre connaissance du sujet a atteint ses limites.

L’urgence qu’il y avait à faire face à la crise financière mondiale qui nous frappe a été telle que les politiques tant budgétaires que monétaires de nombreux pays ont pris des directions et ont atteint des niveaux d’intervention qui auraient auparavant été jugés intenables, voire irresponsables. La décision prise par les pays du G20, en avril 2009, de consacrer ensemble un montant de 1,1 billion de dollars à la relance de l’économie mondiale (on notera que ce chiffre comprend un plan de relance budgétaire de 809 milliards de dollars pours les seuls États-Unis) est sans précédent.

À de nombreux égards, nous nous trouvons à présent en territoire économique inconnu. L’extrême incertitude quant aux résultats économiques à venir place les décideurs, notamment ceux du secteur de la défense, dans un singulier dilemme.

En cas de crise inflationniste, il faudrait procéder à des coupes drastiques dans les dépenses publiques, et les dépenses de défense constitueraient inévitablement une cible privilégiée.

Si les politiques économiques expansionnistes réussissent, on évitera peut-être une récession profonde de longue durée. Cependant, les stimuli budgétaires et monétaires sans précédent qui ont été adoptés (en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni) pour éviter un effondrement économique total pourraient conduire rapidement à une crise inflationniste. Il faudrait alors procéder à des coupes drastiques dans les dépenses publiques, et les dépenses de défense constitueraient inévitablement une cible privilégiée.

Par ailleurs, si les signes précurseurs qui se sont manifestés récemment s’avèrent trompeurs et que les politiques économiques n’arrivent pas à endiguer une dépression économique mondiale, les perspectives seront tout aussi sombres pour les dépenses publiques. Et dans ce cas également, les dépenses de défense seront une cible relativement facile pour des coupes très sévères.

Reuters

Cible facile ? Les dépenses de défense pourraient subir une contraction dans certains pays

Les effets des réductions des dépenses de défense sur l’emploi se sont toujours fait sentir davantage au niveau régional qu’au niveau national, de sorte qu’il est plus facile de diminuer les dépenses dans ce secteur que dans d’autres secteurs publics.

Par ailleurs, l’inflation dans le domaine des matériels de défense a tendance à dépasser le taux d’inflation normal. En conséquence, le contrôle des dépenses semble moindre dans le secteur de la défense que dans les autres secteurs et des coupes budgétaires peuvent dès lors y sembler davantage justifiées.

Enfin, si la défense tend à être un facteur positif pour la situation commerciale de pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, le « commerce des armes » reste extrêmement impopulaire et un puissant lobby appuierait des réductions sensibles des dépenses de défense dans ces deux pays.

Il est toutefois peu probable que les dépenses du secteur de la défense aient à subir des réductions de grande ampleur à court terme.

La majeure partie des dépenses de défense impliquent de la part des gouvernements des engagements à long terme sur lesquels il est difficile et souvent coûteux de revenir. Le projet de budget de la défense de 634 milliards de dollars présenté récemment par le président Obama marque, certes, une diminution par rapport à ce que prévoyait son prédécesseur, mais équivaut malgré tout à une augmentation globale de 4%. De même, si l’on a parlé, au Royaume-Uni, de « trou noir » dans le budget de la défense, des réductions immédiates sont improbables.

Aux États-Unis, un certain nombre de grands projets de défense sont d’ores et déjà réduits, ou sont sérieusement menacés, notamment ceux qui concernent le F-22, de nouveaux hélicoptères, des véhicules blindés de la prochaine génération, et des navires militaires de haute technologie.

Le danger pour les dépenses de défense se manifestera à plus long terme - après 2010 – lorsque le coût réel de la lutte contre la crise financière apparaîtra. À moins d’une explosion de la croissance économique mondiale, les budgets du secteur public subiront des pressions sans précédent puisque les gouvernements seront dans l’obligation de rembourser les emprunts massifs qu’ils ont contractés. C’est alors que les grands projets de défense seront le plus vulnérables et que des économies de coût devront être réalisées.

Aux États-Unis, un certain nombre de grands projets de défense sont d’ores et déjà réduits, ou sont sérieusement menacés, notamment ceux qui concernent le F-22, de nouveaux hélicoptères, des véhicules blindés de la prochaine génération, et des navires militaires de haute technologie.

Au Royaume-Uni, et en Europe en général, les analystes estiment que le projet concernant l’avion de transport A400M reste compromis, et que le remplacement du Trident est une nouvelle fois menacé. En outre, de nombreux pays européens de l’OTAN plus petits, qui consentent déjà de gros efforts pour contribuer véritablement à un partage du fardeau plus équitable au sein de l’Organisation, vont inévitablement voir leurs budgets de la défense durement touchés par les coupes sévères qui interviendront à plus long terme.

Lockheed Martin

L’avion d’attaque interarmées F-35, un produit haut de gamme très couteux

Dans un nouveau rapport sur les dépenses de défense du Royaume-Uni, l’ « Institute for Public Policy Research » (IPPR) conforte l’idée de coupes sombres inéluctables dans le secteur de la défense. Ce rapport, élaboré par un groupe de personnalités militaires britanniques de premier plan, indique clairement que la ligne de partage se dessine déjà entre le matériel de défense que le Royaume-Uni souhaite acquérir et ce que le pays peut en fait se permettre d’acheter.

L’IPPR recommande :

  • de réduire d’environ 24 milliards de livres les dépenses militaires prévues au Royaume-Uni ;
  • d’examiner les solutions de rechange au remplacement du Trident ;
  • d’encourager une coopération transeuropéenne beaucoup plus large pour l’acquisition d’équipements de défense
  • et de favoriser une spécialisation accrue dans les forces armées britanniques.

Le message adressé au secteur militaire dans l’ensemble de l’OTAN pourrait difficilement être plus clair.

La contraction des budgets dans les grands pays de l’OTAN pourrait, à terme, affaiblir les capacités défensives de l’Alliance. Dans le même temps, les stratèges doivent faire face à trois défis supplémentaires.

Premièrement, certains pays non membres de l’OTAN - notamment la Chine et l’Inde - ont commencé à accroître leurs dépenses de défense, et cette tendance semble devoir se poursuivre une fois que la reprise économique mondiale sera manifeste. La part de l’Asie dans les dépenses militaires mondiales devrait connaître une forte hausse et passer de 24% en 2007 à plus de 32% en 2016. Le budget de la défense chinois, dont certains analystes estiment qu’il correspond en réalité au double du chiffre officiel, est considéré comme le plus important d’Asie, et un programme de modernisation majeur est donc en cours dans l’armée chinoise.

En Inde, la hausse récente des dépenses de défense a été massive (un accroissement budgétaire de 24% rien que pour 2009-2010), de sorte que les dépenses de défense indiennes se situent maintenant au troisième rang mondial en termes de parité du pouvoir d’achat.

Deuxièmement, la « révolution des affaires militaires » (RMA), axée sur l’exploitation de technologies d’information et de communication d’avant-garde pour mettre au point des capacités de « guerre en réseau » de très haute qualité, est un processus extrêmement coûteux. La RMA grève déjà lourdement les budgets de la défense des principaux acteurs, mais sans elle l’OTAN ne peut espérer conserver longtemps son avantage mondial dans ce secteur d’opérations.

Certaines forces européennes se plaignent de la qualité inférieure de leurs radios, de leurs armes et de leurs véhicules blindés de transport de troupes, entre autres, par rapport au matériel américain

Il existe d’ores et déjà des problèmes dans l’Alliance concernant la qualité et la disponibilité de certains types d’équipements militaires. Certaines forces européennes se plaignent de la qualité inférieure de leurs radios, de leurs armes et de leurs véhicules blindés de transport de troupes, entre autres, par rapport au matériel américain. Un effort est consenti pour éliminer ces différences, mais la solution exige des moyens financiers énormes et la contraction sévère des budgets de défense futurs ne fera qu’exacerber le problème du « fossé de l’OTAN » et ses incidences stratégiques.

Le troisième défi concerne le caractère évolutif des menaces auxquelles nous sommes confrontés. La Guerre froide avait au moins un avantage : nous savions de manière relativement certaine qui était l’ennemi et où il se trouvait. Aujourd’hui, l’ennemi est en règle générale une organisation terroriste ou un «État voyou», et les forces de l’OTAN peuvent aussi bien être déployées dans une zone de conflit pour jouer un rôle de rétablissement de la paix dans le cadre de missions humanitaires qu’être appelées à combattre dans une guerre conventionnelle.

Les attentats terroristes perpétrés récemment à Bombay et ailleurs montrent très clairement à quel point la nature de la guerre a évolué, ce qui nécessite une approche différente de l’entraînement et des équipements. Même si l’entraînement des forces de déploiement rapide et la fourniture de matériel approprié pour ces forces sont devenus depuis peu une priorité de l’Alliance, dans leur majorité, nos troupes sont toujours équipées et entraînées essentiellement pour un théâtre de guerre conventionnelle. Il faut donc prévoir un processus de réadaptation, en termes tant de stratégie que de déploiement budgétaire, qui sera lui aussi onéreux et qui viendra obérer encore un peu plus les ressources financières limitées qui sont disponibles pour les opérations militaires de l’OTAN.

Pour un économiste qui étudie le secteur de la défense en période de contraction extrême des moyens financiers, ces défis ne peuvent signifier qu’une seule chose – et c’est un concept qui est au cœur même de la science économique : la nécessité du choix. Il va falloir renoncer à quelque chose, et peut-être bien à de nombreuses choses.

La viabilité économique à long terme de grands projets militaires va être remise en cause ; il va falloir choisir entre le recrutement de forces et, peut-être, l’acquisition de certains nouveaux matériels ; l’avantage militaire conféré par les avancées techniques de la RMA devra peut-être être sacrifié au bénéfice du financement d’opérations humanitaires, etc.

En débattant du choix, les économistes font souvent référence à un concept fondamental entre tous - le coût d’opportunité – c’est-à-dire, en substance, ce que nous devons sacrifier pour obtenir une autre chose que nous souhaitons. Lorsque les décideurs du secteur de la défense s’efforceront, à l’avenir, de réduire au minimum les coûts d’opportunité résultant de la contraction des budgets, le prix réel de la récente crise financière mondiale se mesurera peut-être en termes de réduction de la sécurité, d’augmentation de la menace et éventuellement, dans certaines parties du monde, de désordres civils plus graves que nous serons moins capables d’endiguer efficacement.

Ceux qui voudraient contester cette conclusion feront valoir que les réexamens stratégiques de la défense se sont succédé dans le passé et que peu de choses ont en fait changé. Toutefois, en l’occurrence, des forces économiques sans précédent sont à l’œuvre et on ignore quels seront les résultats. Et ce que l’avenir réserve pour le secteur de la défense ressemble de plus en plus à une chirurgie radicale.

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