Au forum suisse
de politique
internationale

Devant
l'Association
suisse de
politique
trangre

Genve,
14 Nov. 1997

Discours

du Secrtaire gnral de l'OTAN,
M. Javier Solana


Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Je suis trs heureux de m'adresser aujourd'hui vous dans le cadre de cette confrence organise par l'Association suisse de politique trangre. Bien sr tre Genve, avec la proximit du Lac Lman, est toujours trs agrable. Mais, plus srieusement, cette intervention devant vous s'inscrit en parfait complment du programme de ma premire visite officielle en Suisse, la premire jamais effectue par un Secrtaire gnral de l'OTAN. Plus tt dans la journe, Berne, j'ai rencontr les Ministres Cotti et Ogi, ainsi que d'autres membres du Gouvernement et des parlementaires. Ce soir, l'opportunit de m'adresser vous et de pouvoir changer avec vous sur la question cruciale de la coopration en matire de scurit en Europe, me rjouit.

La rputation de la Suisse dans le monde est mrite. Votre pays a une politique trangre et de dfense unique, base sur le concept de neutralit. Je sais combien vous tes attachs ce concept que vous avez courageusement dfendu, la fois dans des priodes de paix et dans des priodes de crise. La Suisse a dvelopp et nourri un consensus national autour de ce concept qui a permis de prserver sa scurit et son indpendance. Cette position de principe est dynamise par la nature du systme politique suisse, trs l'coute des citoyens et fortement attach aux idaux dmocratiques.

Mais neutralit ne signifie pas passivit. Bien au contraire dans le cas de la Suisse. L' exemple de la Croix-Rouge, laquelle la Suisse est d'ailleurs trs souvent associe, est de ce point de vue trs loquent. Au fil des ans, la Croix-Rouge a, par sa prsence dans des zones dchires par la guerre, su apporter de l'aide et du secours aux personnes qui souffrent. C'est aujourd'hui le cas en Bosnie o la Croix-Rouge joue un rle capital. En Albanie galement, la Suisse a jou un rle trs actif pour aider le pays retrouver sa stabilit aprs les turbulences de l'anne dernire.

Aujourd'hui, j'aimerais prsenter devant vous quelques ides sur la nature de la scurit dans un monde en perptuelle volution, un monde dans lequel la capacit de changement et d'adaptation est devenue essentielle. Dans mon intervention intitule "La coopration et la scurit en Europe : les risques, les dfis et les opportunits", je vais, si vous le permettez, mettre plus particulirement l'accent sur les opportunits. C'est pour moi un point fondamental. En effet, je crois qu'aujourd'hui plus que jamais auparavant, nous, c'est--dire tous les pays d'Europe, avons la possibilit de participer rellement la construction d'un nouvel ordre de scurit europen, un ordre bas sur la coopration et le partenariat.

Nous vivons dans un monde o tout est interdpendant. Les signes de cette interdpendance nous apparaissent chaque jour : une catastrophe environnementale dans un pays, comme par exemple des feux de fort non matriss, concerne tous les autres pays voisins; des crises montaires dans une ou deux conomies croissance rapide se rpercutent aussitt sur les marchs et les bourses des pays l'autre bout du monde, comme nous l'avons vu ces jours derniers. Les communications aujourd'hui s'tendent partout, crant des gigantesques noeuds d'information, des liens commerciaux, des flux d'investissements.

Nous vivons dans un monde o les distances se rduisent sans cesse avec les progrs de l'information. Un monde o tout va en s'acclrant.


Paralllement cette volution, le concept de scurit a lui aussi chang pour devenir beaucoup plus large, bien au-del de la simple dfinition le limitant la dfense d'un territoire contre toute agression. La scurit aujourd'hui, c'est aussi crer les conditions de stabilit dans lesquelles les activits conomiques, sociales ou culturelles peuvent s'panouir sans tre perturbes par des conflits, des tensions ou des crises.

Evidemment, ce nouvel environnement de scurit a ouvert des perspectives fantastiques pour crer une nouvelle architecture de scurit en l'Europe et, plus encore, dans toute la zone euro-atlantique. Cette architecture de scurit sera base sur les liens troits dans les domaines politique, conomique et militaire entre tous les Etats participants. Elle reposera sur une confiance mutuelle et sur une coopration toujours plus troite.

Car la scurit en Europe n'est jamais acquise, comme nous l'a rappel la tragdie des Balkans, il faut travailler pour la prserver. Une autre leon nous a t apprise par cette crise : la gestion de la scurit en Europe n'est pas l'affaire d'une nation toute seule. Toutes les nations, indpendamment de leur situation gographique ou de leurs traditions en matire de scurit, peuvent contribuer utilement la stabilit du continent. Dans une nouvelle Europe, la scurit est un effort d'quipe pour les nations comme pour les institutions.

L encore, la crise en Bosnie a montr que la coopration entre les diffrentes institutions, que ce soit l'OSCE, l'UEO ou l'OTAN, tait essentielle pour russir. Nous devons prolonger cet effort de coopration entre nos institutions.

Bien entendu, l'OTAN fait partie de ces institutions. C'est une institution qui, pendant plusieurs dcennies, a t oblige par les circonstances utiliser une dfinition de la scurit trop troite et artificielle.

En effet, en 1949, dans la priode de renouveau d'aprs-guerre, les rdacteurs du Trait de Washington avaient imagin l'Alliance atlantique comme le pilier d' une communaut de dmocraties base sur des valeurs communes. Or, dans ce contexte de reconstruction, la menace sovitique tait une ralit que l'on ne pouvait ignorer. Par consquent, la dfinition initialement large des objectifs de l'OTAN a d tre rduite : l'OTAN est devenue le synonyme d'une organisation militaire de scurit avec pour objectif essentiel de rpondre une menace massive et unique.

Aujourd'hui, la Guerre froide est termine. L'OTAN peut donc et doit retourner son ambition initiale plus large d'tre un instrument de notre bien-tre et de notre stabilit. Elle doit voluer du maintien de la scurit sa promotion. Quand on parle de "la nouvelle OTAN", il ne s'agit pas d'un artifice rhtorique : l'Alliance a vritablement chang; elle n'est plus un fournisseur de dfense largement passif mais elle est devenue un instrument actif du changement politique.

Dj, le concept stratgique que nous avons adopt en 1991 dfinissait une approche nouvelle de la scurit de l'Alliance en termes de risques et de dfis dcoulant d'une instabilit ou de conflits en dehors des frontires de l'Alliance : par exemple, un conflit ethnique violent, une migration massive de population ou encore la prolifration d'armes de destruction de masse. Pour prvenir ces risques, nous devons nous prparer de nouvelles missions comme le maintien de la paix ou la gestion des crises.

Pour cela, les forces militaires de l'OTAN ont d voluer la fois en quantit et en qualit. Aujourd'hui, les niveaux des forces militaires en Europe ont considrablement diminu. Par exemple, les effectifs des forces allies ont t rduits de 25% et les amricaines stationnes en Europe ont diminu de plus de 60%. De mme, les Allis ont entrepris des rductions importantes de leurs dpenses de dfense. Depuis le dbut des annes 90, l'Alliance a rduit ses forces nuclaires en Europe de plus de 80%. Au total, les forces de l'OTAN sont plus rduites, plus mobiles, plus cibles et plus flexibles.

Ainsi, par l'adaptation, par la diminution de nos effectifs, par la restructuration et les rformes, nous sommes en train de faonner la nouvelle OTAN, une OTAN adapte au dveloppement rapide et l'interdpendance du monde actuel que j'voquais prcdemment. Cette OTAN pourra, j'en suis sr, contribuer de faon utile et significative la construction d'une coopration en matire de scurit en Europe grce de nouvelles formes de partenariat entre tous les pays de la zone euro-atlantique.

Un autre volet important du changement de l'Alliance concerne l'admission en son sein de nouveaux membres.

Au Sommet de Madrid, en juillet 1997, la Rpublique tchque, la Hongrie et la Pologne ont t invites engager des pourparlers d'adhsion avec l'Alliance. Notre objectif est d'accueillir ces pays comme des membres part entire en 1999, date du 50e anniversaire de l'OTAN.

A Madrid, les Chefs d'Etat et de gouvernement ont t galement trs clairs sur le fait que la porte de l'OTAN restera ouverte et que ces nouveaux membres ne seront pas les derniers. Cet engagement fort pour une OTAN ouverte montre que l'largissement a pour objectif de contribuer une plus grande stabilit de la zone euro-atlantique au sens large. Ouvrir nos institutions majeures de nouveaux membres est un lment indispensable de ce processus.

En effet, sans la dcision de l'OTAN et de l'Union Europenne de s'largir, nous n'aurions vu la signature d'autant de traits bilatraux en Europe de l'Est et en Europe Centrale pour rgler des diffrends qui duraient depuis des annes.

Ainsi, l'largissement de l'OTAN est une partie d'une stratgie beaucoup plus large visant crer une Europe dmocratique, paisible, et sans divisions, un objectif partag par l'OTAN, l'Union Europenne, l'Union de l'Europe occidentale, l'OSCE et le Conseil de l'Europe. Je tiens rappeler cet gard que la Suisse a brillamment russi sa prsidence de l'OSCE l'anne dernire, une priode o l'volution de cette organisation et son engagement dans les problmes de scurit europens ncessitaient une direction ferme.

Par-del son largissement, l'Alliance a cr des mcanismes de coopration qui permettent tous les pays intresss de la zone euro-atlantique de participer la prparation d'oprations conjointes de maintien de la paix. L'initiative du Partenariat pour la paix de l'OTAN est un de ces mcanismes. Elle a constitu un instrument essentiel dans la transformation du paysage de scurit en Europe, en crant des liens troits de coopration entre l'OTAN et 27 nations de l'OSCE et en promouvant la coopration et la transparence dans les relations entre les pays partenaires comme jamais auparavant.

L'originalit du Partenariat pour la paix rside dans son caractre volontaire. Chaque Partenaire peut choisir le niveau et l'intensit de ses activits individuelles dans le cadre du Partenariat. C'est prcisment une des raisons-cl du succs et de la popularit du programme de Partenariat pour la paix. Tous les programmes sont dimensionns en fonction des intrts spcifiques des Partenaires concerns. Rien n'est obligatoire.

A court terme, la coopration dans le cadre du Partenariat pour la paix nous fournit une base d'expertise utile pour faire face aux risques et aux dfis du futur, que ce soit dans le domaine de la gestion des catastrophes ou de l'aide humanitaire, ou pour le maintien de la paix et de la gestion des crises. A plus long terme, la coopration dans le cadre du Partenariat devrait nous aider crer une culture stratgique commune qui rendrait les crises de moins en moins probables.

La Suisse a rejoint le Partenariat pour la paix en 1996. En avril dernier, les autorits suisses ont prsent un programme individuel de Partenariat actuellement en cours d'application. Ce programme individuel se concentre principalement sur l'activit lie au contrle dmocratique des forces, la planification civile d'urgence et la politique de dfense.

  • En particulier, l'OTAN et ses Partenaires suisses organisent des formations dans le domaine de la politique de scurit grce au Centre pour la politique de scurit de Genve;

  • Ils travaillent au renforcement de la coopration dans le domaine de la gestion des catastrophes et de la mdecine militaire;

  • Ils crent des ples d'expertise dans le domaine du contrle des armements, de l'assistance aprs les conflits, des droits de l'homme et de l'OSCE;

  • Ils fournissent des informations sur la politique de scurit par l'intermdiaire de la cration d'une base de donnes sur l'Internet.

Je ne citerai pas toutes les activits mais parmi les 18 activits du Partenariat offertes par la Suisse, je veux encore mentionner l'organisation d'une Confrence des chefs d'Etat-major de tous les pays partenaires pour discuter du droit humanitaire dans le contexte du Partenariat pour la paix. Cet vnement de haut niveau est prvu pour le mois de mars 1999 Genve l'occasion du 50e anniversaire des conventions de Genve.

La Suisse est galement membre du nouveau Conseil de Partenariat euro-atlantique qui est le forum de consultation des Partenaires de l'OTAN sur tous les aspects de notre coopration. Ce Conseil est la meilleure preuve de ce que nous sommes sur la bonne voie en explorant de nouvelles dimensions du Partenariat, en amenant ce Partenariat sur la voie d'une responsabilit partage pour des activits communes. C'est encore une nouvelle tape dans la construction d'une coopration europenne en matire de scurit.

Cette participation active au Partenariat pour la paix et au Conseil de Partenariat euro-atlantique n'affecte pas bien sr la politique de neutralit de la Suisse dont je parlais au dbut de mon discours et ne change pas non plus ses orientations en matire de scurit. Pourtant, en acceptant un tel programme de coopration, la Suisse s'allie aux autres Partenaires et aux Allis pour contribuer la paix et la stabilit en Europe. Le Partenariat pour la paix fournit la Suisse un moyen accessible et reconnu de partager ses expriences et son expertise avec d'autres pays.

Rciproquement, le Partenariat pour la paix bnficie de l'expertise Suisse dans le domaine du contrle dmocratique des forces armes et sur les questions relies au droit humanitaire. Votre pays, qui pendant plusieurs sicles a dfendu les valeurs dmocratiques et le pluralisme ethnique, apporte une contribution essentielle cet gard.

Paralllement ces initiatives, l'OTAN a galement cr des mcanismes de partenariat et de coopration avec la Russie. Ces mcanismes refltent l'importance de ce pays pour la scurit europenne. L'Acte fondateur OTAN-Russie sign en mai 1997 a cr un Conseil Conjoint Permanent dans lequel les Allis et la Russie peuvent se consulter sur des questions de scurit et de dfense. Ce Conseil a pour vocation de superviser les activits de coopration entre l'OTAN et la Russie dans un certain nombre de domaines, y compris le domaine militaire.

Nous avons approuv conjointement un programme de travail ambitieux qui prvoit toute une gamme d'actions de coopration entre l'OTAN et la Russie dans le domaine du maintien de la paix, pour les questions scientifiques et environnementales lies la dfense, pour la prparation aux plans d'urgence et la gestion des catastrophes, la conversion des industries de dfense, la sret nuclaire, pour ne citer que quelques-uns des domaines dans lesquels notre coopration va se dvelopper. Nous discutons galement lors de nos runions de la situation en Bosnie-Herzgovine et des progrs dans l'application des accords de Dayton.

Cette relation avec la Russie est fondamentale pour la nouvelle architecture de scurit que nous construisons.

Nous avons galement inclus dans nos structures de coopration de scurit l'Ukraine. La situation et la taille de l'Ukraine en font un facteur de stabilit important pour la scurit en Europe. C'est pourquoi nous avons dfini une relation distincte entre l'OTAN et l'Ukraine qui permet de dvelopper un Partenariat fort entre l'Alliance et l'Ukraine.

Nous avons galement renforc notre dialogue avec les pays de la Mditerrane en crant un groupe de coopration mditerranen au Sommet de Madrid. Vous le voyez, que ce soit dans le domaine du Partenariat pour la paix o de nombreux efforts ont t faits, des relations avec la Russie, des relations avec l'Ukraine, du renforcement du Partenariat mditerranen, l'OTAN s'est vritablement engage sur la voie d'une Europe sans divisions, capable et dsireuse de cooprer pour sa scurit.

Mais un tel travail d'adaptation et de transformation doit permettre de rpondre aux dfis de la scurit en Europe lorsqu'ils se prsentent. Cette capacit de raction, nous l'avons dmontre en Bosnie. Le conflit qui s'est dclench dans l'ancienne Yougoslavie a constitu un vritable dfi pour la communaut internationale dans son ensemble et pour ses institutions. Mais par-del les difficults, le dploiement de l'IFOR en dcembre 1995 a fourni la rponse la plus vidente toutes ces questions.

Cette opration conduite par l'OTAN a t une vritable premire dans son genre : une coalition internationale unique pour la paix avec des soldats venant de plus de trente pays, y compris de Russie. L'IFOR, puis la SFOR, ont montr comment nous pouvions rpondre une menace imprvue. Plus que tout, cette initiative a montr le bien-fond d'une structure politico-militaire multinationale bien huile comme l'OTAN.

L'IFOR et son successeur, la SFOR, se sont coordonnes troitement avec les autres institutions participant la reconstruction de la Bosnie. Sans l'environnement de scurit fourni par l'OTAN et ses Partenaires, l'OSCE n'aurait pas pu organiser des lections dmocratiques. Sans l'IFOR et la SFOR, les efforts de reconstruction politique et conomique mens par l'Union Europenne, les Nations Unies et d'autres organisations non gouvernementales n'auraient pas pu voir le jour.

Et l'OTAN n'a pas oubli comment la Suisse lui est venue en aide tout d'abord en fournissant des autorisations de survol pour permettre nos avions d'intervention rapide de surveiller la zone interdite impose par les Nations Unies sur la Bosnie et en dlivrant des autorisations de transit aux forces de l'IFOR et de la SFOR lors de leur dploiement pour qu'elles puissent atteindre le thtre rapidement et efficacement.

Je voudrais maintenant conclure. Comme je vous l'ai dit dans cet expos, l'Europe est entre dans une nouvelle re. La vieille Europe de la division, de la confrontation a disparu. Elle est aujourd'hui remplace par une nouvelle Europe d'intgration et de coopration. Nous voulons entrer dans ce nouveau millnaire sans lignes de division. En mme temps, nous voulons y entrer avec un nouveau sens d'unit et une direction commune. Chaque pays d'Europe a un rle jouer dans ce processus, y compris des pays plus petits comme la Suisse.

La Suisse est une Europe miniature avec ses vingt-six cantons, ses quatre cultures et ses quatre langues. Votre pays est un vritable pays international. Il a vcu en paix depuis le dbut du dix-neuvime sicle, ce qui est un exemple formidable. Avec une exprience dmocratique aussi forte, la participation de la Suisse l'architecture de scurit volutive que nous construisons aujourd'hui est la bienvenue. Nous pourrons bnficier de cette riche exprience pour le bien commun.

Je crois que la construction d'une stabilit et d'une scurit long terme dans tout le continent europen est notre priorit aujourd'hui l'aube du vingt-et-unime sicle. Je crois galement que nous devons unir tous nos efforts pour que ce projet ambitieux aboutisse. Les circonstances aujourd'hui sont favorables la russite de ce projet. Sachons-les saisir ensemble.

Merci beaucoup de votre attention.


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