Vous avez certainement remarqué qu'au lycée les filles semblent préférer les filières littéraires aux filières scientifiques. Pourquoi? Les bougresses
seraient-elles en moyenne moins bonnes en maths que les garçons? Après le lycée, le biais subsiste dans les filières où la sélection porte sur les mathématiques, comme par exemple les écoles
d'ingénieurs. Y aurait-il moins de filles parmi les "bons en maths"? Progressons encore dans l'élite mathématique, et considérons les prix majeurs décernés aux mathématiciens (en l'absence d'un
Nobel dédié): médaille Fields (depuis 1936), prix Abel (depuis 2003) ou Wolf (depuis 1978). J'ai épluché la liste des lauréats sur Wikipedia, et sauf erreur de ma part, on n'y trouve aucune
femme! Alors, existe-t-il des femmes possédant un réel génie mathématique?
Voilà trois questions troublantes auxquelles deux
scientifiques -femmes- se sont confrontées dans un article publié cette semaine dans PNAS, et je vous prie de lire leurs conclusions
ci-après avant de lâcher les chien(nes de garde) à mes trousses.
Tout d'abord, un
échantillon de femmes prises au hasard dans la population est-il meilleur en maths, moins bon, ou équivalent à un échantillon d'hommes pareillement choisis? Cette question permet de rester
général, et de ne pas considérer le biais présent chez ceux qui ont choisi les mathématiques comme discipline de prédilection. Selon deux études publiées en 1966 et 1974 (et menées par une
femme), les garçons seraient effectivement meilleurs en mathématiques que les filles, et cette différence apparaîtrait vers 12-13 ans. A ce stade, on serait bien mal avisé d'exclure formellement
une cause biologique; coment être certain que le cerveau des filles n'est pas légèrement différent de celui des garçons, de même que beaucoup d'autres choses les distinguent? En 1990, une
méta-analyse (une analyse d'analyses, si vous préférez) portant sur 100 articles antérieurs et 3 millions de personnes concluait à l'absence globale de différence liée au sexe, mais avec
des avantages nuancés selon l'âge et l'aptitude considérée: en particulier, les garçons prenaient l'avantage au lycée dans la catégorie de la résolution de problèmes, ce qui les avantagerait dans
leurs études et leurs carrières. Les auteures ont repris une étude encore plus récente portant sur 7 millions d'écoliers, et qui ne détectait pas de différence significative entre filles et
garçons. En moyenne, les filles ne sont donc pas plus nulles en maths que les garçons. Il est toutefois intéressant de relever que la différence a bien existé et qu'elle tend à
s'estomper avec le temps, suggérant déjà une forte composante culturelle dans les performances en mathématiques. En effet, l'évolution biologique ne peut expliquer cette augmentation
d'ensemble en une trentaine d'années.
Ce premier résultat est valable en moyenne, et le resterait si par exemple la variance de l'aptitude aux maths des garçons est plus élevée que celle des filles.
Selon cette hypothèse d'une "plus grande variabilité mâle", il y aurait plus garçons doués en maths que de filles (mais aussi plus de garçons nuls), tandis que les filles seraient plus nombreuses
autour de la moyenne. Les tests utilisés précédemment donnent également accès à la variance. Ils montrent que les garçons présentent effectivement une variance plus élevée que les filles, et
qu'au delà des 95ème et 99ème percentiles, parmi les bons en maths, il y a plus de garçons... mais pas dans tous les pays! Comme les petites bataves ne sont pas vraiment différentes
des petites américaines d'un point de vue génétique, il faut conclure que l'origine de cette différence de variance est majoritairement socioculturelle, et non biologique.
Enfin, il existe bien sûr des femmes possédant un réel talent mathématique: thésardes, chercheuses, lauréates de prix, etc. (la partie la plus facile de l'analyse). Les résultats de cette
étude (parmi bien d'autres du même acabit) sont donc sans appel: non, les filles ne sont pas fondamentalement plus nulles en maths que les garçons, c'est-à-dire qu'elle ne sont pas
génétiquement programmées pour être profs de lettres. Cependant, il existe des différences bien réelles, ne serait-ce que dans l'orientation scolaire et professionnelle, et les meilleurs en maths
sont souvent des garçons à cause de "l'effet variance". Pourquoi? Parce que l'environnement joue un grand rôle dans l'épanouissement d'un talent ou d'un goût pour les mathématiques, et que de ce
point de vue il est plutôt défavorable aux filles: le stéréotype (autoréalisateur) selon lequel les filles seraient plus aptes aux études littéraires et moins douées pour la logique ou le
calcul est malheureusement trop répandu parmi les enseignants et les parents. Autre biais reconnu qui selon moi peut expliquer l'effet variance: on a toujours tendance à exiger plus d'un garçon,
et à se contenter du résultat pour une fille.
Selon les auteures, les inégalités observées dans performance mathématique ne sont que le reflet de l'inégalité générale entre les sexes; les différences observées
sont d'ailleurs positivement corrélées à un indice de "gender gap", ou à l'une de ses composantes, le taux d'emploi des femmes. En attendant que la société progresse vers plus d'égalité entre
hommes et femmes, comment agir pour promouvoir les mathématiques auprès des jeunes filles? Voici une initiative amusante et assez directe: comment survivre aux maths au collège "sans devenir
folle ni se casser un ongle"? Voir le livre ci-dessous, bien girly-teenager, et l'interview de l'auteure, actrice
et matheuse, dans Wired!
Compris, les filles? L'algèbre linéaire c'est cool, l'analyse c'est fashion et les probas c'est glamour!
Par Benjamin
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Comme les affaires (bloguesques) reprennent, je vais peut-être pouvoir partager avec vous quelques histoires que j'ai relevées ces derniers temps. Ne vous étonnez
pas si elles paraissent plus brèves que d'habitude*!
Ma première histoire, que vous connaissez probablement, se déroule à Saint-Cloud. Il se trouve que l'opérateur de téléphonie mobile Orange avait récemment installé
des des antennes-relais dans cette riante commune de l'Ouest Parisien. Malheureusement, des Clodoaldiens (car c'est ainsi qu'on les nomme) ont rapidement éprouvé des problèmes de santé : troubles
du sommeil, saignements de nez... Tout naturellement, ils ont porté plainte contre Orange pour ces nuisances manifestement dues aux antennes... qui, d'après Orange, n'avaient jamais fonctionné.
J'aurais donné cher pour voir la tête des riverains. Les ondes qui les rendaient malades étaient donc dans leurs têtes, influençant leur corps, d'où mon titre. Mais
il reste que leurs symptômes étaient bien réels, et une pure coïncidence paraît aussi improbable qu'un fonctionnement des antennes en l'absence d'alimentation. L'un des résidents avait-il réglé
son wi-fi un peu fort avant l'entré en vigueur de la loi Hadopi? L'eau courante était-elle radioactive? L'explication porte un nom de restaurant d'entreprise, l'effet "nocebo", inverse de l'effet placebo mais reposant sur le même principe. Je sais, scientifiquement on n'est pas plus avancé qu'en invoquant la "trouille".
On savait déjà la perception du risque peu rationnelle, en particulier lorsqu'un facteur n'est pas maîtrisé par l'individu (qui peut choisir de ne pas fumer, plus difficilement d'habiter
plus de km d'une centrale nucléaire), mais là, on franchit un palier: la perception d'un risque réalise les craintes!
Pour ma part, j'aime bien cette petite affaire. D'abord, elle illustre l'importance de la psychologie dans le domaine de la santé. Ensuite, elle pose des questions
rigolotes en termes de gouvernance: cette affaire décrédibilise-t-elle les lobbies anti-ondes? Faut-il invalider les décisions de justice déjà rendues qui ont abouti à des retraits d'antennes? En
viendra-t-on à prescrire des placebos contre les ondes? Comment prouver l'innocuité des antennes dans ces conditions**? Des symptômes "nocebo" sont-ils une raison suffisante pour retirer une
antenne? Et pourquoi pas, si ce sont les mêmes?
* Pour les très brèves histoires, j'essaye Twitter
**D'après l'Académie de Médecine, les antennes relais exposent beaucoup moins que les téléphones eux-mêmes, et aucun risque ne semble avéré. A suivre, comme toujours....
Par Benjamin
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Aujourd'hui 24 mars, c'est la journée mondiale de la tuberculose, ce qui explique la résurgence de
cette vieille maladie dans les médias. La tuberculose, comme vous pourrez le relire
dans ce billet, c'est la grande maladie du XIXème siècle, celle qui évoque les cités ouvrières, Zola et la microbiologie
allemande... on a fait plus réjouissant! Mais au vu de ce lourd passé, on ne peut s'empêcher de se demander si ce vieux fléau est toujours d'actualité...
Parcourez donc le rapport de l'OMS qui fait le point sur la tuberculose dans le
monde. En 2007, on estime à 9 273 000 le nombre de nouveaux cas de tuberculose (une légère augmentation par rapport à 2006), les plus gros contingents étant fournis par la Chine, l'Inde,
l'Indonésie, le Nigéria, l'Afrique du Sud... Ces chiffres m'amènent à rappeler que l'on peut très bien porter le bacille de Koch de nombreuses années et mourir de vieillesse, mais tout de même, 1
772 000 en sont mortes en 2007. Comme un malheur n'arrive jamais seul, le fort impact de la tuberculose en Afrique par rapport au nombre d'habitants s'explique par la forte prévalence du VIH.
C'est tragique et parfaitement logique: le VIH sape les défenses immunitaires qui contiennent l'installation et la progression de la tuberculose. C'est pourquoi à l'échelle mondiale 15% des
nouveaux cas de tuberculose étaient déjà porteurs du VIH.
Et en France alors? On peut entendre nombre de jeunes et/ou futurs parents s'interroger sur la pertinence du BCG pour leur enfant, maintenant que ce vaccin né dans la douleur n'est plus obligatoire (quand il n'est pas question d'opposition idéologique au vaccin). La déclaration de cette
maladie étant elle obligatoire, on dispose de statistiques assez précises: 5 588 cas ont ainsi été déclarés en 2007, essentiellement en région parisienne, ce qui constitue une augmentation
de 5% par rapport à 2006, soit un come-back plus que respectable à cet âge. On dispose de quelques éléments de démographie dans ce document de l'insitut de Veille Sanitaire. Il existe une influence peu politiquement correcte du lieu de
naissance: chez les personnes nées en France, ce sont les personnes âgées qui sont les plus touchées, plutôt les jeunes adultes chez les personnes nées hors de France, catégorie bien plus touchée
dans son ensemble. Comme partout dans le monde, il existe en France une corrélation entre la tuberculose et le VIH: 20% des cas déclarés sont associés au VIH. il n'est donc pas question de
négliger la tuberculose en France, mais sans en faire une psychose, elle ne fait "que" 89 malades et 12 morts pour un million d'habitants. Il est donc recommandé de vacciner les enfants vivant
dans des conditions considérées "à risque", comme la région parisienne.
Pour résumer, on peut dire que la tuberculose se nourrit toujours autant des classiques misères humaines, mais qu'elle s'est remise à la mode en agrémentant son
menu d'un autre fléau bien moderne, le VIH.
Par Benjamin
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Pour fêter le prochain anniversaire de Darwin, le Bacterioblog entre dans la farandole avec une question presque intime:
Quel est le scientifique qui a le plus apporté à la théorie de l'évolution au cours du XXème siècle?
Bien sûr, je ne crois pas que nous arriverons à une réponse définitive, l'intérêt réside surtout dans les arguments qui suportent les différentes réponses
possibles. Par exemple, peut-on avancer le nom d'un Gould ou d'un Dawkins? Faut-il faire abstraction de leur effort de vulgarisation (donc de leur célébrité), et ne retenir que leur apport
conceptuel? Dans ce cas, pourquoi pas Hamilton? John Maynard Smith? Que dire de la "synthèse néodarwinienne" de Haldane ou Fisher? Faut-il prendre en compte le penchant de ce dernier pour
l'eugénisme? Vos points de vue m'intéressent!
Par Benjamin
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