La vaste mosaïque d'un peuple en mouvement

17 septembre 2008

Le mouvement interconfessionnel

 
Des moines bouddhistes et des habitants de Los Angeles
Des résidents de Los Angeles saluent des moines bouddhistes après leur avoir fait don de produits alimentaires.

Gustav Niebuhr

Depuis plus d'un siècle, des groupes d'Américains cherchent à ouvrir la communication avec d'autres groupes religieux dans l'espoir de mieux les comprendre et de coopérer avec leurs communautés.

 

Gustav Niebuhr est professeur associé de religion à l'Université Syracuse (New York) et auteur d'un ouvrage intitulé Beyond Tolerance : Searching for Interfaith Understanding in America (Au-delà de la tolérance : la quête d'une compréhension interconfessionnelle en Amérique).

En 1991, le rabbin d'une synagogue de Long Island, une banlieue de New York, a demandé à l'un de ses assistants laïques s'il existait-il, à proximité, un groupe de musulmans qui aimeraient faire connaissance avec des membres de la synagogue afin que tous apprennent à mieux se comprendre par delà leurs différences religieuses. Pour le rabbin Jerome Davidson, chef spirituel du temple Beth-El dans le comté de Nassau (New York), l'idée n'était pas tellement bizarre. Depuis des années, il était chargé d'inviter des personnalités non-juives - protestants, catholiques, musulmans américains à l'occasion - à venir prendre la parole devant son organisation rabbinique nationale. Mais, selon lui, rien n'avait été fait au niveau local. « Il fallait essayer cela ».

Cela a pris du temps mais, en l'espace d'un an, quelques membres influents de Beth-El avaient engagé le dialogue avec leurs homologues de la Société islamique de Long Island, une mosquée située à quelques kilomètres. Les conversations avaient commencé modestement par l'échange d'informations sur les manières dont les deux confessions marquaient les grands moments de la vie (Qu'est-ce que vous faites au moment de la naissance ? Comment fêtez-vous un mariage ?) avant d'aborder les principes théologiques de leurs textes sacrés respectifs. Après avoir appris à mieux se connaître, les juifs et les musulmans ont comparé leurs points de vue sur le Moyen-Orient - « les sujets sophistiqués » comme les qualifiait Davidson. Lorsque j'ai interrogé Faroque Khan, le médecin qui dirige la mosquée, à l'occasion de mes recherches pour un livre sur les relations interconfessionnelles, le dialogue durait depuis 15 ans. « A-t-il fait une différence ? » m'a-t-il demandé. « Pas au niveau mondial, mais si j'arrive à aider deux communautés à mieux se comprendre, pour moi, c'est une réussite. »

Si cela semble inhabituel, c'est que les rencontres de ce genre font rarement la une des journaux qui semblent plus souvent consacrer leurs pages aux conflits qu'à la coopération entre les groupes religieux. Mais les réunions de Long Island s'inscrivent dans une tendance qui commence à se manifester aux États-Unis. Alors que, dans les nouvelles, les différences religieuses sont souvent mises en avant comme cause de tensions et d'incidents violents, la collaboration entre les Américains de diverses traditions religieuses est à la hausse. Cette tendance prend la forme de réunions régulières entre les membres de confessions différentes afin d'organiser des conversations officielles ou des projets sociaux - soupes populaires ou programmes d'alphabétisation pour les enfants, par exemple. Une étude du Hartford Institute for Religious Research du Connecticut (Institut de Hartford pour les recherches religieuses) montre que, dans les confessions étudiées (catholique, juive, musulmane et autres), les efforts sociaux et collaboratifs ont plus que quadruplé entre 2000 et 2005, impliquant quelque 38 % de toutes les églises.

Une nation de croyants

Deux faits permettent de mieux comprendre cette tendance. D'abord et avant tout, les États-Unis sont un pays religieux, comme le montrent les sondages nationaux. Une des caractéristiques passées et présentes de la vie de la nation est que les Américains font grand cas des croyances et des pratiques religieuses. En juin 2008, une organisation sans but lucratif, le Pew Forum on Religion and Public Life, a publié les résultats d'un sondage mené auprès de plus de 35.000 personnes : 92 % des Américains disent croire en Dieu ; 75 % disent qu'ils prient au moins une fois par semaine, beaucoup d'entre eux tous les jours. Ces résultats concordent avec ceux d'autres enquêtes selon lesquelles 7 Américains sur 10 déclarent que la religion est soit « importante » soit « très importante » dans leur vie. La croyance largement répandue que la religion est bonne en soi a ses origines dans le passé américain. Dans son discours d'adieu, en 1796, le président George Washington a déclaré que les citoyens d'une république ne pouvaient pas se gouverner ou exercer leurs libertés fondamentales s'ils n'étaient pas vertueux, et que la vertu se fondait sur la religion et la moralité. (Il faut souligner qu'il ne disait pas de quelle religion il parlait).

En second lieu, la tendance à la coopération interconfessionnelle est liée au changement démographique qui affecte les États-Unis depuis les dernières décennies du XXe siècle. En octobre 1965, après des semaines de débats au Congrès, le président Lyndon Johnson a signé une loi qui modifiait profondément la législation de l'immigration. En ouvrant la porte aux nouveaux immigrants en provenance d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, elle a contribué à profondément diversifier le paysage religieux du pays. Les nouveaux arrivants n'étaient pas seulement des chrétiens et des juifs, présents sur le continent depuis au moins le XVIIe siècle, mais aussi, entre autres, des bouddhistes, des hindous, des musulmans, des sikhs, des jaïns et des zoroastriens.

En pratique, cette immigration a fait que dans les grandes villes et leurs banlieues, chrétiens, juifs, musulmans, hindous et bouddhistes se sont côtoyés au travail, à l'université et dans les quartiers. En outre, il y a de plus en plus d'individus qui cherchent à rapprocher encore plus ces groupes les uns des autres. Eboo Patel, par exemple, indien musulman dont la famille est venue s'installer dans le Midwest au milieu des années 70, veut briser les stéréotypes par le biais de rencontres et d'activités durant lesquelles les groupes peuvent se mélanger. Après des études universitaires dans l'Illinois et des études de troisième cycle à Oxford, M. Patel a fondé l'Interfaith Youth Core (Groupe interconfessionnel de jeunes) à Chicago. Le groupe est surtout présent sur les campus universitaires : il offre des lieux de rencontre où les étudiants de confessions diverses peuvent parler de leurs croyances profondes et travailler en bénévoles à divers projets tels que la réparation de logements pour les pauvres ou le nettoyage des parcs de la ville. M. Patel, qui est maintenant directeur exécutif, rappelle qu'il ne s'agit pas de convertir qui que ce soit, mais de renforcer l'identité religieuse de tout un chacun en leur permettant de découvrir les traditions éthiques communes à toutes les religions.

Histoire du mouvement interconfessionnel

On peut trouver l'idée originelle d'un dialogue réfléchi entre les minorités religieuses à Chicago dans un événement historique. Le 11 septembre 1893, pendant l'exposition universelle, une conférence spéciale s'est tenue : connue sous le nom de Parlement des religions du monde, elle a été conçue par les protestants de la région qui avaient invité des représentants de 10 groupes religieux du monde à se réunir à Chicago pour parler de leurs croyances et pratiques religieuses spécifiques. Cette manifestation, qui a duré presque deux semaines, a eu un retentissement national en tant que cours de religion comparée. Des milliers de personnes y ont participé, dont des journalistes qui rapportaient dans tout le pays ce qui s'y passait. Ce qui est particulièrement important a été la place donnée aux intervenants non chrétiens et notamment à deux d'entre eux : un maître hindou, Swami Vivekananda, et un moine bouddhiste, Anagarika Dharmapala, représentant chacun une religion que les Américains ne connaissaient ou comprenaient pratiquement pas. Les deux hommes ont impressionné tous ceux qui les entendaient et les lecteurs qui les suivaient dans les journaux. Chacun de ces deux représentants de religions de l'Asie du Sud-Est appelait au dialogue interconfessionnel et au respect des diverses religions. Le jour de l'ouverture du « Parlement », Vivekananda a déclaré que la cloche qui annonçait l'ouverture des sessions sonnait « le glas de tous les fanatismes ». Nous savons aujourd'hui qu'il exprimait un vœu qui n'est toujours pas devenu réalité un siècle plus tard, mais ses paroles continuent d'être source d'inspiration pour certains.

Le Parlement a pris fin sans successeur pour continuer à disséminer ses idées. L'intérêt dans le dialogue n'a vraiment recommencé à se manifester - aux États-Unis comme en Grande Bretagne - que vers le milieu des années 1990. En 1993, la célébration du centenaire du Parlement a attiré des milliers de personnes à Chicago, suffisamment pour pousser à l'établissement d'une organisation permanente chargée d'organiser des assemblées internationales semblables. Le Conseil pour un Parlement des religions du monde (CPWR) a organisé des réunions au Cap (Afrique du Sud) en 1999, et à Barcelone (Espagne) en 2004 ; la prochaine doit se tenir en 2009 en Australie.

Pour de nombreux Américains, c'est au niveau local que se fait le travail des relations interconfessionnelles, comme le montre l'exemple de  Long Island. Beaucoup de choses se sont passées à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York et à Washington. Si les destructions qu'elles ont causées ont contribué à accroître les tensions entre les musulmans et les non-musulmans dans certains endroits, cela n'a pas toujours été le cas. Dans certaines villes - à Seattle, Denver et Washington, par exemple - au lendemain des attaques, des chrétiens et des juifs se sont rassemblés pour protéger les mosquées du vandalisme et pour rassurer leurs voisins et collègues musulmans. Dans le plus long terme, elles ont poussé les fidèles à ouvrir le dialogue les uns avec les autres. De leur propre chef, nombre d'Américains musulmans ont organisé une série de « mosquées portes ouvertes » pour faire connaître les fondements de l'islam à leurs voisins curieux.

Il est vrai que cette tendance n'est pas universelle. Nombre d'Américains de toutes persuasions ne participent pas à ce genre de réunion. Certains sont profondément sceptiques, voire hostiles à ce genre de dialogue, convaincus que leur religion est la seule à détenir la vérité absolue. De leur point de vue, entamer un dialogue religieux avec d'autres personnes est, au mieux, une perte de temps. Le Premier Amendement à la Constitution des États-Unis, qui garantit la liberté de religion de tous les citoyens, protège aussi les croyances et les attitudes de ces personnes.

Mais comme le montrent les conclusions du rapport du Pew citées plus haut, la majorité des Américains n'est pas aussi dogmatique en matière de religion. Et comme je l'ai découvert au cours de mes recherches, nombre d'entre eux veulent en savoir plus sur les croyances et pratiques de leurs voisins et ils sont prêts à consacrer une partie de leur temps à le faire. Certains trouvent même de l'inspiration dans leur curiosité. Mais la meilleure raison de l'existence de ce dialogue repose peut-être sur une déclaration faite par le pasteur Martin Luther King il y a 41 ans. Pasteur baptiste afro-américain, il est sans doute plus connu pour son action en tant que chef de file du mouvement en faveur des droits civils, mais vers la fin de sa vie, il avait fait connaissance d'un moine bouddhiste vietnamien en exil, Thich Nhat Hanh. Ce dernier voyageait aux États-Unis dans le cadre d'une mission de paix : son appel en faveur de la paix et de la réconciliation au Viêt-Nam a profondément marqué King qui l'a plus tard nommé pour un prix Nobel de la paix. C'est à cette époque que King a écrit un essai dans lequel il demandait à ses lecteurs d'imaginer que l'humanité avait hérité d'une grande maison du monde « dans laquelle nous devons tous vivre ensemble » ; ses habitants - juifs et gentils, catholiques et protestants, musulmans et hindous - forment une famille d'idées et de cultures diverses mais qui, « parce que nous ne pouvons plus jamais vivre séparés les uns des autres, doivent apprendre à vivre ensemble dans la paix ».

Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la politique du gouvernement des États-Unis.

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