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26 mars 2009

Katherine Chon et Derek Ellerman : la lutte contre la traite des personnes

 
Katherine Chon et Derek Ellerman.
Katherine Chon et Derek Ellerman.

(Le présent article fait partie de la revue électronique eJournalUSA sur l'action non violente en faveur du changement social, dont la version française doit paraître prochainement.)

Une conversation, un soir à l’heure du dîner, entre deux étudiants de l’université Brown à Providence (Rhode Island), en 2001, a donné naissance à l’un des plus grands organismes qui luttent aux États-Unis et au Japon contre la traite des personnes

Katherine Chon discute de l’abolition historique de l’esclavage aux États-Unis avec un camarade de classe, Derek Ellerman, quand la conversation tourne sur le sujet de l’esclavage moderne. Peu de temps après, le journal local publie un article sur six Sud-Coréennes qui ont été contraintes de travailler dans une maison close de Providence, et une idée jaillit dans l’esprit de Katherine Chon. « Cela m’a fait un choc quand j’ai lu qu’elles avaient à peu près mon âge et qu’elles venaient de mon pays », explique-t-elle dans un article publié en 2007 dans la revue Women’s Health.

Et c’est ce qui amène Katherine Chon et Derek Ellerman à fonder le projet Polaris, du nom de l’étoile du Nord qui guidait les esclaves noirs en fuite pendant les années ayant précédé la guerre de Sécession (1861-1865) alors qu’ils empruntaient ce qu'on appelait la route du chemin de fer clandestin, en quête de liberté.

Les deux étudiants mettent alors au point un plan de création d’un site Internet qui se propose d’apporter une aide immédiate et pratique aux victimes de la traite des personnes, et ils soumettent leur proposition au concours d’entrepreneuriat que l'université Brown organise chaque année. Malgré son caractère non lucratif, leur projet remporte la deuxième place, avec 12.500 dollars à la clé. Les deux étudiants s’installent à Washington en 2003 pour y établir un bureau.

La tâche qui les attend tient de la gageure. « Le mouvement anti-traite est jeune et il s’en prend à des réseaux de criminels qui tirent parti de certains des maux sociaux les plus récalcitrants », écrit M. Ellerman.

L’Organisation des Nations unies estime à 12,3 millions le nombre de personnes, enfants y compris, qui vivent dans des conditions de travail forcé, de servitude pour dettes ou de servitude sexuelle. Selon d’autres estimations, ce nombre oscille entre 4 millions et 27 millions.

Le projet Polaris attaque le problème sous de nombreux angles. Il offre des services d’approche et de découverte des victimes, des permanences téléphoniques multilingues, des prestations sociales et un hébergement temporaire aux victimes. Il administre un centre national de ressources sur la traite des personnes qui fait fonction de liaison permanente aux États-Unis, le National Human Trafficking Resource Center (NHTRC).

En outre, il plaide en faveur du durcissement des lois de l'État fédéral et des États fédérés visant à interdire la traite des personnes aux États-Unis et il mobilise les membres de groupes à l’appui d’actions locales et nationales. Son personnel se compose de plus d’une trentaine de professionnels, répartis dans des bureaux situés à Washington, à Newark (New-Jersey), à Denver (Colorado) et à Tokyo (Japon).

S’il existe un bon nombre d’organismes actifs dans la lutte contre la traite de personnes, Polaris est en tout cas l’un des rares à s’attaquer directement aux entreprises liées à ce phénomène, au moyen du renforcement des lois, au lieu de se contenter de venir en aide aux victimes.

Comme les criminels voient souvent dans la traite des personnes une activité lucrative et à risque relativement faible, « la meilleure façon d’affaiblir ce secteur consiste à adopter une stratégie ciblée sur l’introduction d’obstacles à la recherche de profits, conjuguée à la multiplication des poursuites judiciaires et des condamnations », explique M. Ellerman. Ce dernier travaille en outre sur ce dossier avec l’association Ashoka dont la mission consiste à encourager l’entrepreneuriat social.

Au cours de l’année à venir, Polaris compte renforcer son action en faveur de l’adoption de mesures nationales et proposer notamment des modèles de lois anti-traite aux États. En outre, Katherine Chon et Derek Ellerman espèrent renforcer la capacité technique de la permanence téléphonique, qui a reçu 6.000 appels l’année dernière, soit trois fois plus que la précédente, et qui a permis de découvrir 2.300 victimes de la traite des personnes.

« Les appels téléphoniques nous aident à découvrir davantage de victimes, à les diriger vers les services compétents et à monter des dossiers contre les trafiquants », indique Mme Chon, tout en citant l’exemple d’une enseignante qui avait suivi un stage de formation sur le repérage des victimes de la traite et qui avait téléphoné pour signaler l’absence de deux jeunes Latino-Américaines aux activités organisées après les cours. Grâce à elle, on a pu les retrouver et poursuivre les trafiquants en justice.

Par ailleurs, Mme Chon envisage d’élargir les partenariats conclus entre Polaris et des organismes d’autres pays. « Nous voulons prendre des mesures sévères à l’égard de marchés très précis et de types particuliers de réseaux criminels – salons de massages asiatiques ou trafic de femmes et d’enfants latino-américains –, chaque marché ayant une dynamique qui lui est propre », fait-elle observer.

Derek Ellerman et Katherine Chon sont convaincus du bien-fondé de leur cause et de leur capacité d’entraîner un changement constructif.

« Je suis persuadée que les gens peuvent changer le cours des choses », affirme Mme Chon dans l'interview qu'elle a accordée à un magazine. « Suivez vos passions, donnez-leur libre cours et n’ayez pas peur d’accepter le défi. »

 

« La bonne nouvelle, se félicite M. Ellerman, c’est qu’on peut gagner ce combat. À la base, il faut avoir des organismes et des dirigeants habiles, visionnaires et pourtant pragmatiques. »

Les opinions exprimées dans le présent article ne représentent pas nécessairement les vues ou la politique du gouvernement des États-Unis.

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