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02 décembre 2008

Les films étrangers en Amérique

Extrait de l'édition de juin 2007 d'eJournal USA : L'industrie du cinéma aujourd'hu

 
Guillermo del Toro
Le labyrinthe de Pan du réalisateur Guillermo del Toro fait partie des 3 films mexicains a être nommé pour un Oscar.

Timothy Corrigan

Cette année, les films étrangers ont été plus populaires et plus visibles que jamais, mais la place du cinéma international progresse depuis longtemps aux États-Unis. Timothy Corrigan remonte aux sources de ce phénomène et évoque les raisons de cette « montée en Amérique du cinéma qui parle avec un accent » ; professeur de littérature anglaise et directeur des études cinématographiques de l'université de Pennsylvanie à Philadelphie, il est l'auteur de plusieurs livres dont The Film experience (2004) écrit en collaboration avec Patricia White.

La chose la plus intéressante de la 79e cérémonie de remise des Oscars, en février 2007, a peut-être été les multiples nominations de trois films mexicains : Babel, de Alejandro González Iñárritu ; Les fils de l'homme, de Alfonso Cuarón ; et Le labyrinthe de Pan, de Guillermo del Toro. Le fait que seul le dernier film ait été cité dans la catégorie des meilleurs films étrangers et que plusieurs autres films étrangers l'aient été pour des récompenses dans des catégories traditionnelles - comme les nominations de meilleure actrice de Helen Mirren dans le film britannique The Queen, et de Penélope Cruz dans le film Volver - est symptomatique de la gamme mondiale de films que Hollywood a choisi de reconnaître. Un autre signe de cette mutation dans les Oscars de 2007 est le fait que les Lettres d'Iwo Jima, du vénérable réalisateur américain Clint Eastwood, cité dans les catégories du meilleur film et du meilleur réalisateur, est avant tout un film en japonais.

À l'évidence le monde s'est rétréci et ses mystères s'estompent, et si la séduction des peuples et des lieux exotiques, comme par exemple les paysages mongols de L'histoire du chameau qui pleure (2003), nourrit toujours la curiosité du public cinéphile, une partie du cinéma parlant avec l'accent que l'on voit de plus en plus en Amérique a d'autres atouts plus concrets en sa faveur.

La naissance d'un marché international

Aussi remarquable et remarquée qu'ait été la sélection des films étrangers présentés cette année aux États-Unis, les rapports complexes de l'Amérique avec les autres cultures cinématographiques ne datent pas d'hier. Depuis la première projection d'un film en France en 1895, la dynamique de l'histoire du cinéma s'est caractérisée par des épreuves de force et des négociations entre la culture américaine, les compagnies de production étrangères et les marchés. La création de la Motion Pictures Patents Company en 1908, sous la direction de Thomas Edison (l'inventeur américain de la première caméra) visait spécifiquement à limiter la distribution des films étrangers aux États-Unis. Plus tard, dans le sillage de la Première Guerre et avec la domination croissante de l'industrie cinématographique américaine dans le monde, l'influence de Hollywood est parvenue à une Allemagne en difficultés économiques et s'est traduite par l'Accord de Parufamet. Les studios américains de la MGM et de Paramount convenaient alors avec le studio allemand Ufa non seulement de donner à Hollywood accès aux marchés allemands, mais aussi de permettre aux artistes allemands d'immigrer aux États-Unis (comme l'ont fait le producteur de Casablanca Michael Curtiz et la star suédoise Greta Garbo).

Avec l'expansion culturelle des États-Unis après la Deuxième guerre mondiale, les décrets de Paramount de 1948 ont posé les assises d'un mouvement qui allait modifier lentement mais profondément la culture cinématographique américaine et déboucher sur la scène internationale actuelle. Ces décrets mettaient fin à l'emprise monopolistique des principaux studios de Hollywood sur le marché américain. De ce fait, dans les années 50 et au début des années 60, le fruit de la production indépendante américaine et, plus tard, les films étrangers ont commencé à être montrés dans les salles américaines. Menée par les films du Suédois Ingmar Bergman, du Français François Truffaut et de l'Italien Michelangelo Antonioni, cette nouvelle vague de films étrangers a séduit les publics émergents de jeunes et d'universitaires s'intéressant à d'autres cultures et, au cours des quelques décennies suivantes, cette curiosité s'est répandue au sein de la population américaine.

Les tendances à l'expansion mondiale du marché de Hollywood notées après la guerre et l'omniprésence et la popularité croissantes du cinéma international aux États-Unis qui a suivi ont aujourd'hui leurs propres raisons d'être économiques et technologiques. Mais c'est sans doute la multiplication des festivals internationaux du film qui a été un des moteurs les plus visibles de publicité et de soutien des films étrangers sur le marché international, et sur celui éminemment lucratif des salles américaines et des DVD.

Clint Eastwood
Les Lettres d'Iwo Jima du vénérable réalisateur américain Clint Eastwood est avant tout un film en japonais.

Le premier festival du film, celui, toujours influent, de Venise, s'est tenu pour la première fois en 1932 et aujourd'hui, de Cannes et Berlin à Toronto et Telluride (Colorado), le circuit des festivals offre de 400 à 1.000 rendez-vous dans les villes des quatre coins du monde où des films tels que La vie est belle (1998, Italie) ou Cours, Lola, cours (1998, Allemagne) se trouvent catapultés sur le marché mondial après y avoir reçu un prix. Tout comme le festival de Venise avait pour fonction première de promouvoir la culture nationale et celles des autres pays par l'intermédiaire de films, les festivals d'aujourd'hui constituent des passerelles qui donnent accès à d'autres cultures autrement que par le biais des cinémas nationaux et de Hollywood et qui, par la même occasion, mobilisent souvent des financements et des circuits de distribution pour des films plus artistiques..

En l'occurrence, les cinémas contemporains d'Iran et de Corée sont des exemples. Sans grand soutien et sans être populaire en Iran, Le goût de la cerise de Abbas Kiarostami, Palme d'Or du festival de Cannes de 1997, a ouvert la voie à une déferlante de films iraniens contemporains en Europe et aux États-Unis. Après que le film Old Boy (2003) de Park Chan-wook - exemple très réussi du « cinéma extrême asiatique » - fut couronné de nombreux prix aux festivals de Hong Kong, Cannes et Stockholm, il n'a pas simplement été distribué dans des salles d'art et d'essai aux États-Unis, il a propulsé Park dans les pages du magazine du New York Times. Après avoir reçu des prix à divers festivals, les films de Hsiao-hsein (tels que Le maître des marionnettes de 1993 et Les fleurs de Shanghai de 1998) ont trouvé des appuis financiers et donc une visibilité accrue aux États-Unis et, lorsque le film du Brésilien Walter Salles, Central do Brazil, a obtenu un prix au Festival du film de Sundance, l'avenir aux États-Unis de son réalisateur s'en est trouvé considérablement conforté.

Cultiver le public

Un deuxième facteur important de la migration actuelle de films étrangers aux États-Unis est lié à ces nouvelles sources de couverture et de promotion « de bouche à oreille » : la popularité et la profitabilité grandissantes, depuis les années 90, du « Nouveau cinéma indépendant » et la capacité des films étrangers de s'inscrire dans le sillage de ce mouvement. Encouragés par les compagnies de distribution (et éventuellement de production) telles que Miramax, les films de Quentin Tarantino et Jim Jarmusch ont offert au public des histoires et des styles qui différaient des vieilles formules de Hollywood et, à mesure que le penchant pour l'original, le différent et le nouveau prenait racine dans les années 90, les compagnies ont appris à essayer (souvent par l'intermédiaire du circuit des festivals) d'importer et quelquefois de « reconditionner » des films étrangers ciblant des publics précis. Des films comme The Crying Game (1992) ou Il Postino (Le facteur) (1994) ont établi de nouveaux records de recettes pour des films étrangers sur le marché américain. The Crying Game est un paradigme de campagne promotionnelle qui a transformé un film britannique à succès modéré sur un terroriste de l'IRA en un film à grand succès aux États-Unis sur le sexe et le secret.

Après la réussite de compagnies telles que Miramax, les grands studios de Hollywood ont, ce qui n'a rien d'étonnant, créé (ou recréé) leurs propres « divisions de films spéciaux » pour découvrir et distribuer les films indépendants et étrangers. Sony Picture Classics, par exemple, distribue le film alliant romantisme et arts martiaux de Zhang Yimou Le secret des poignards volants (2004), le film quelque peu excentrique de suspense de Pedro Almodovar Volver (2006) et le film à suspense français/autrichien/allemand de Michael Haneke, Caché (2005). Une autre compagnie, Fox Searchlight, filiale de la 20th Century Fox, offre des importations britanniques aussi couronnées de succès que Joue-la comme Beckham (2002) et Chroniques d'un scandale (2006).

Cause et conséquence de ces tendances, la coproduction des films contemporains par diverses compagnies internationales se généralise et chaque investissement constitue en puissance une promesse de distribution plus large dans le monde. La pratique n'est pas nouvelle ; elle offre aux compagnies américaines des occasions de participer dès le départ à des productions étrangères et elle garantit en principe une sortie en langue anglaise sur les écrans américains. Comme l'accord de Parufamet de 1926, les coproductions et cofinancements encouragent le « partage » des réalisateurs, des producteurs, des techniciens et des vedettes tels que Roberto Begnini, Ang Lee, Guillermo del Toro, Rutger Hauer, Penélope Cruz, et Michael Ballhaus. Et cet échange fructueux au niveau des individus conduit aussi à un mélange des genres et des intrigues que l'on reconnaît facilement comme n'étant peut-être pas exclusivement américain mais « international » en ce qu'il est accommodé au goût américain - comme le film de suspense de Luc Besson La femme Nikita.

Ce n'est pas, et j'insiste sur ce point, que les films étrangers récents se soient adaptés aux genres américains, au contraire : ils ont offert aux publics américains des nouveaux types de personnages et d'histoires qui changeaient des formules consacrées de Hollywood. Il est difficile d'imaginer qu'un film comme Collision (2005) ait pu gagner un Oscar et avoir la réception critique qu'il a eue sans le précédent beaucoup plus audacieux des Amores perros (Amours chiennes) de Iñárritu en 2000.

Distribution numérique

Un dernier facteur particulièrement contemporain qui contribue à l'expansion du cinéma « avec l'accent » est la convergence au numérique de la production et de la distribution. Maintenant que la révolution numérique est arrivée, les libertés et les ouvertures qu'avait permises la distribution des vidéos dans les foyers dans les années 70 et 80 se traduisent aujourd'hui par les nouvelles possibilités offertes par les DVD et la distribution sur l'Internet. Si les ventes de vidéos et de DVD ont depuis longtemps dépassé les ventes de tickets de cinéma, on oublie souvent que les vidéos et DVD ont permis de créer un marché plus ouvert et plus ciblé au regard de la distribution des films étrangers. Si la plupart de ceux-ci sont rarement visionnés dans les cinémas (sauf dans de petites salles d'art et d'essai), l'expansion de la technologie des DVD fait que de plus en plus de films étrangers sont à la disposition de tous les publics et, chose peut-être encore plus importante, permet aux distributeurs de cibler les DVD sur des groupes intéressés par des films spécifiques, par exemple asiatiques, européens ou africains.

Le cinéma indien - les films de Bollywoood - est un exemple frappant de ceci. Il était possible de voir Coup de foudre à Bollywood, un remake indien du roman de Jane Austin Orgueil et préjugés, dans des salles alternatives partout dans le pays en 2004 et les films récents de Mira Nair - y compris Le mariage des moussons (2002) - ont reçu un bon accueil critique et économique aux États- Unis, mais c'est l'accès plus ou moins ouvert et continu à une variété pratiquement illimitée de films indiens et étrangers par l'intermédiaire des magasins de location de vidéos ou des vidéos « en ligne » qui garantit la pérennité des films « avec l'accent » en Amérique. Avec les services d'abonnement comme Netflix qui offrent toujours plus facilement un choix de plus en plus large de films étrangers et avec l'arrivée imminente du téléchargement des films sur l'Internet, il est difficile de résister à la tendance romantique et utopique de voir dans les films, comme en 1895, non plus le langage universel de l'espéranto mais un dialogue polyglotte dans nos foyers et nos collectivités.

Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement les vues ou la politique du gouvernement des États-Unis.

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