Élections 2008 | Le peuple américain choisit ses dirigeants

18 décembre 2008

Pour mémoire

 
George H.W. Bush, Barack Obama, George W. Bush, Bill Clinton et Jimmy Carter le 7 janvier 2009
George H.W. Bush, Barack Obama, George W. Bush, Bill Clinton et Jimmy Carter à la Maison-Blanche le 7 janvier 2009.

Terry Good

« Vous arrivez sans rien. Vous repartez sans rien. » C’est la directive toute simple qui est donnée aux membres du personnel de la Maison-Blanche sur le point de quitter leur poste quand on leur explique la loi de 1978 en vertu de laquelle tous les documents de la Maison-Blanche appartiennent à l'État fédéral. Le Bureau de la gestion des archives (Office of Records Management ou ORM) a pour tâche de s'occuper du transfert de toute cette documentation aux Archives nationales et, ultérieurement, à la bibliothèque du président sortant.

 

Terry Good, qui travaillait aux Archives nationales, a été temporairement affecté à la Maison-Blanche en janvier 1969 ; il faisait partie de l’équipe chargée de commencer les préparatifs en vue de la création de la bibliothèque présidentielle de Richard Nixon. Après la démission de ce dernier, il a occupé un poste au Bureau de la gestion des archives de la Maison-Blanche, dont il est devenu le directeur en octobre 1988. Il a conservé ce poste jusqu’à son départ à la retraite, en juillet 2004.

20 janvier, 11 h 55

Ça y est ! Ce n'est pas trop tôt. On a fini. Une autre transition. Une autre évacuation massive du complexe de la Maison-Blanche. Évacuation des personnes, des papiers, des archives électroniques. Et le tout avant midi.

Dans mon bureau, je m’effondre sur le divan, éreinté et les yeux lourds de sommeil ; j’ai passé la nuit à travailler, en ne m’accordant que quelques petits sommes, parce que jusqu’au dernier moment j’ai ratissé le complexe de la Maison-Blanche (l’aile ouest, l’aile est, le bâtiment Eisenhower des bureaux administratifs, le nouveau bâtiment des bureaux administratifs et d’autres installations encore), à la recherche de ces fichiers, de ces documents, qu’on oublie toujours quand on fait le grand nettoyage des bureaux. J’allume la télé et je regarde la cérémonie d’entrée en fonction du nouveau président, qui se déroule sur la terrasse ouest du Congrès,  tout en buvant du bout des lèvres une tasse de café froid et en grignotant un beignet au goût de vieux.

Je ne peux cependant pas me reposer trop longtemps. Il faut que je repasse une fois de plus dans l’aile ouest. Dans cinq minutes, l’avant-garde du nouveau président franchira le portail.

Le travail n’est qu’à moitié fini. J’ai dit au revoir à l’équipe sortante, des gens que j’ai appris à connaître, à respecter, à aimer. Pendant quatre ans ou pendant huit ans. Le temps paraît si court, en rétrospective, mais le temps presse, et l’heure n’est pas aux souvenirs. La phase suivante de la transition est sur le point de commencer. Je dois être prêt à accueillir les nouveaux arrivants, le sourire aux lèvres, et prêt à leur apporter mon soutien avec un dévouement et un enthousiasme semblables à ceux dont j’ai fait preuve envers leurs prédécesseurs, indépendamment du jeu des partis.

Et c’est ce que je ferai, tout comme mon personnel du Bureau de la gestion des archives (Office of Records Management ou ORM), parce que nous faisons partie du personnel qui reste à la Maison-Blanche, même quand le gouvernement change. Nous comptons au nombre des « fonctionnaires de carrière » qui ont pour mission de servir « la fonction, et non l’homme ».

Pendant ces quelques moments, je pense à ce qui attend le nouveau gouvernement et mon bureau. Je prends la liberté d’imaginer le cycle des quatre, voire des huit, prochaines années.

Vous avez du courrier !

En l’espace de quelques jours, une avalanche de courrier va s’abattre sur les nouveaux occupants des lieux. Ce sera la première vague. Ils seront complètement débordés. Oui, ils avaient été prévenus, mais le choc n’en sera pas moins terrible à la vue de la montagne de cartons de courrier, provenant du grand public, qui s’accumule depuis le jour de l’élection. Il faudra installer spécialement des tables dans les couloirs du bâtiment Eisenhower, adjacent à la Maison-Blanche. Au fil du temps, ils apprendront qu'il faut lire deux cents lettres en moyenne chaque jour. À chacune, ils assigneront un code en fonction de la suite à lui donner : une réponse, une réexpédition vers l’organisme compétent pour exécution ou, dans certains cas, rien.

Fait surprenant, le dépouillement du courrier n’est pas dénué de légèreté. Les Américains possèdent un sens de la créativité qui dépasse l’entendement. Pratiquement tous les formats imaginables ont été, ou seront, utilisés pour communiquer avec les présidents : des boîtes de conserve, des morceaux de bois, des courgettes et des noix de coco, pour donner une idée de la variété des choix.

Les fonctionnaires du Bureau de la gestion des archives et moi-même serons prêts à offrir des conseils sur la manière de traiter ce courrier. Ce sera notre première épreuve, notre première occasion. Nous devons être capables de convaincre le nouveau gouvernement que la vaste majorité de ce courrier, une fois qu’il a été lu et traité, n’a pas besoin d’être conservé passé un délai de quelques mois. Si nous pouvons les convaincre que ces communications peuvent être mises au rebut, il n’y a pas que l’aire de rangement qui s'en retrouvera réduite : il en ira de même pour les difficultés logistiques auxquelles nous nous heurterons quand nous devrons nous mesurer une fois de plus à notre plus grande épreuve, à savoir la prochaine transition. Eh oui, on commence si tôt que cela à préparer la transition.

Heureusement, l’avalanche de messages électroniques, si massive au départ, ne provoquera plus les crises des temps passés, au moment de l’essor de cette nouvelle technologie. Son volume sera stupéfiant, mais le traitement des messages sera relativement systématique. La vague suivante, moins forte, ne tardera pas à déferler. Au bout de quelques jours, le bruit des sonneries de téléphone retentira à l’ORM. Un tel veut les dossiers des personnes qui ont envoyé du courrier, tel autre demande des renseignements de base sur les nouvelles mesures auxquelles travaille le nouveau gouvernement. Notre réponse sera toujours la même, toujours choquante et décevante : nos classeurs sont vides. De toutes les informations, de tous les papiers, de toutes les archives électroniques, il ne reste plus rien. Il va vous falloir repartir à zéro. Les organismes qui relèvent de l’exécutif pourront vous venir en aide. Ce sont eux qui ont la responsabilité des programmes et les connaissances voulues. En peu de temps, le nouveau gouvernement aura trouvé son rythme, et les rouages du gouvernement se mettront à tourner, prenant rapidement de la vitesse.

Dans l’ensemble du complexe de la Maison-Blanche, une nouvelle vague commencera à se former pendant les semaines qui suivent. Les affectations et les responsabilités du personnel s’accompagneront d’une grande quantité d’informations. Dans chaque bureau, les papiers, les documents et les livres déferleront, à un degré qui sera du jamais vu pour la majorité des nouveaux membres du personnel. L’afflux sera constant et de l’ampleur d’un tsunami. Au départ, ils essaieront de faire face à la situation en réclamant davantage de classeurs et d’étagères. Au bout de quelques semaines, il ne restera plus un centimètre carré d’espace de rangement dans les bureaux. Pis encore, les papiers, les documents et les livres s’entasseront, s’empileront, dans les classeurs, sur les étagères, les bureaux, les chaises, les tables, les divans et, enfin, par terre dans de rares cas, à tel point qu’il ne restera plus que quelques chemins pour aller de la porte au bureau, et peut-être même, comme on l’a vu une fois, que seule la menace de la visite du chef des pompiers pourra inciter le personnel à mettre un peu d’ordre et à faire du rangement.

S’organiser : le défi à relever

À ce stade, quelques membres du personnel administratif se sentiront complètement dépassés par les événements et découragés. Nombreux sont ceux qui seront pris de court par cette tâche imposante, rares sont ceux qui auront jamais travaillé dans un bureau où il y a tant à faire, et à faire si vite, comme c’est toujours le cas à la Maison-Blanche. L'embauche de personnel supplémentaire n’est pas possible. De crainte d’être accusé d’avoir des effectifs « excessifs » à la Maison-Blanche, le nouveau gouvernement doit composer avec un personnel restreint, appuyé par des bénévoles et des stagiaires. La tâche ne sera pas aisée.

Il n’y aura pas de surprise pour le Bureau de la gestion des archives. Dans chaque gouvernement, l’organisation des informations, sous quelque forme qu’elles se présentent, se voit affecter un faible rang de priorité au tout début. Les nouveaux arrivants estiment rarement à sa juste valeur la nature cruciale de cette composante des affaires gouvernementales ni son volume. Le personnel doit nécessairement se concentrer sur les événements nationaux et mondiaux à côté desquels les tâches aussi banales que le classement de documents font pâle figure. L’histoire va se répéter.

Le Bureau de la gestion des archives, dont le personnel ignorait l’existence, sera bientôt un cadeau du ciel. Les responsables des archives de l’ORM seront en mesure de réduire en partie l’accumulation des documents dans les bureaux. Dans certains cas, ils suggéreront des méthodes de classement. Souvent, il leur suffira d’encourager le personnel à dresser un inventaire et à ranger dans des cartons tout ce qui ne sera pas utile dans l’immédiat. Ces archives peuvent ensuite être placées sous la garde de l’ORM, où elles seront passées au scanner optique pour être intégrées à la banque de données de ce bureau ; quant aux cartons, ils seront numérotés et rangés sur des étagères, où ils pourront être récupérés en moins d’une heure le cas échéant. Bien que l’ORM ne le mentionne pas, il s’agit en fait d’une composante de la première phase de « la fin d’un gouvernement », celle qui consiste à préparer le départ du gouvernement qui aura lieu quatre ans, ou huit ans, plus tard. Le moment venu, les dossiers qui sont répertoriés et mis dans des cartons seront prêts à être transférés à l’Administration des archives nationales. Quand on prépare un carton à la fois, la tâche ne sera pas impossible quatre ou huit ans plus tard, lorsqu’on en aura au moins douze mille au bout de quatre ans et au moins vingt mille au bout de huit ans.

Fait tout aussi important, si ce n’est plus encore, le Bureau de la gestion des archives voit dans cette situation la première phase de la rédaction de l’histoire de ce gouvernement. Les documents sont des témoins : ils parlent. Les documents qui ont été organisés font des récits. Dans la mesure où l’ORM peut convaincre le personnel d’organiser ses fichiers, c’est dans cette mesure que les annales du gouvernement seront mieux comprises, mieux écrites, mieux racontées, d’abord par le président quand il rédigera ses mémoires, puis par les historiens et par ceux et celles qui chercheront à mettre en valeur et à interpréter certains événements et diverses mesures.

Ainsi donc, au fil du temps, l’ORM va affirmer sa réputation, soit parce que grâce à lui le personnel des services de la Maison-Blanche va se sentir délivré de la paperasserie dans laquelle il s’enlisait, soit que l’ORM va pouvoir répondre rapidement à ses demandes d’information ou lui rendre, quand il en a besoin, les dossiers qui ont été rangés dans des cartons.

Préparation de documents destinés aux Archives nationales.
Un technicien dresse un inventaire des cartons prêts à être entreposés aux Archives nationales.

Retour au point de départ

Avec le passage des semaines, des mois et des années, et à mesure que le nouveau gouvernement gagne en maturité, les liens entre l’ORM et le personnel politique vont se resserrer. Les personnes qui étaient de simples connaissances deviennent des amis, et les départs, qu’ils aient lieu pendant un mandat ou à sa fin, sont toujours des moments de tristesse sincère. L’analogie est un peu exagérée, mais travailler à la Maison-Blanche, c’est un peu comme si on était à bord d’un bateau qui navigue dans des eaux dangereuses. Tout le monde, côte à côte, rame avec la même force pour faire en sorte que le « bateau de l’État » négocie avec adresse les nombreux rapides, les secteurs inexplorés et les maelströms violents afin d'arriver à bon port. Les différences entre le personnel politique et les fonctionnaires de carrière s’estompent. Des liens se tissent.

Dès le début de la dernière année du mandat du président, l’ORM commence, en toute discrétion d’abord, à mentionner plus fréquemment l’avantage et la nécessité qu’il y a de dresser des inventaires et de ranger les dossiers dans des cartons, qui resteront dans les bureaux. La plupart des membres du personnel s’en rendent compte et, consciencieux, ils s’efforcent de « mettre de l’ordre dans leurs affaires » pour la postérité, pour « leur » président et pour eux-mêmes.

La situation sera loin d’être aussi sereine si le président sortant n’obtient pas le second mandat qu’il brigue. En l’espace de quelques semaines, les événements vont se précipiter à la vitesse de l’éclair entre la première semaine de novembre et le 20 janvier. Le complexe de la Maison-Blanche va se transformer en un immense dépôt mortuaire qui sera le théâtre d’une veillée funèbre prolongée.

Heureusement, une fois enclenchée, la transition va emprunter un chemin aux sentiers battus. Le personnel recevra pour instructions de continuer à remplir ses fonctions tandis qu’il se prépare à partir. On part du principe selon lequel le complexe de la Maison-Blanche, comme la résidence elle-même, appartient au peuple américain, et que tout doit être fait pour la laisser dans l’état dans lequel un invité laisse la maison de l’hôte qui l’a accueilli en bon état, voire en meilleur état qu’à son arrivée. Dans la plupart des cas, c’est cette attitude qui domine.

Quant aux archives, elles feront elles aussi l’objet de lignes directrices et de dates-butoir. L’ORM obtiendra la permission de faire le tour des bureaux à la Maison-Blanche pour déterminer le nombre de cartons à distribuer au personnel, compte tenu du volume des dossiers qui restent.

Certains commenceront à partir, ce qui soulève une autre question, celle de savoir à qui appartiennent les fichiers. Invariablement, il y a des membres du personnel qui sont persuadés que les dossiers dans leur bureau sont leur propriété personnelle. Avant l’adoption de la loi de 1978, ces documents et tous ceux qui se trouvaient dans les locaux de la Maison-Blanche passaient pour appartenir au président, qui pouvait en faire ce qu’il voulait. Ce n’est plus le cas. La loi de 1978 stipule que tous les documents appartiennent à l'État fédéral. Exception faite de certains dossiers « politiques », ni le président ni les membres du personnel n’ont le droit d’en revendiquer la propriété, qu’il s’agisse d’originaux ou de copies. Ces documents ne peuvent quitter la Maison-Blanche que pour être transférés aux Archives nationales et, ultérieurement, à la bibliothèque du président. Étant en première ligne, c’est à l’ORM d’expliquer cette loi, ce qui n’est pas chose facile, parce que son intervention sera souvent reçue froidement. Dans bien des cas, il suffit de suggérer un principe simple : « Vous arrivez sans rien. Vous repartez sans rien. »

La cadence s’accélère

Ceci dit, la question de savoir à qui appartiennent les dossiers n’est rien à côté de celle du rangement dans les cartons et du déménagement de ces cartons. Cette tâche, on le comprend aisément, occupe une place de premier plan. Très peu de temps après l’élection, les Archives nationales et le ministère de la défense viendront apporter leur concours. La cadence va s’accélérer rapidement et atteindre un rythme endiablé au cours des semaines de novembre et de décembre.

L’ORM va commencer à recevoir des coups de fil lui annonçant que des cartons sont prêts à être récupérés. Des aires seront aménagées pour qu’on puisse entasser les cartons sur des palettes, les attacher et emballer le tout dans de la matière plastique. À l’aide de chariots élévateurs à fourche, ceux-ci seront placés dans des semi-remorques garées dans l’allée qui sépare l’aile ouest du bâtiment Eisenhower. Une fois chargés, les camions transporteront les palettes dans divers endroits. La logistique tiendra de la gageure. Malheureusement, le personnel pourrait encore avoir besoin des dossiers qui auront été transportés. Les récupérer devient un vrai cauchemar. Mais la situation se produira. Et, oui, le dossier demandé sera dans le carton au fond de la palette au bas de la pile dans le coin le plus éloigné de l’aire de stockage.

Cette tâche provoque des angoisses pour d’autres raisons. La base de données électronique, qui contiendra à ce point-là une accumulation phénoménale d’informations, devra être téléchargée, copiée et transférée, comme tout le reste, aux Archives nationales. Et, ici encore, ce sera une tâche extrêmement compliquée. Pendant des semaines, les informaticiens des Archives nationales travailleront sans relâche avec leurs homologues de la Maison-Blanche pour la rendre moins gigantesque. Après avoir créé une copie, ils effectueront une série de tests à n’en plus finir pour s’assurer que pas un octet n’a été oublié et que toutes les informations pourront être récupérées. La défaillance de la copie de cette banque de données briserait trop de cœurs et elle sonnerait le glas de la carrière de plus d’un ; et s’il fallait recréer cette banque de données, au cas même où cela serait possible, c’est plus d’un budget qui partirait en fumée. La marge d’erreur n’existe pas. Des cris de joie fuseront quand le dernier test sera effectué et que les résultats obtenus sont totalement identiques à ceux de la banque originale de données. Ce n’est qu’à ce moment-là que le centre informatique de la Maison-Blanche pourra enfin commencer à supprimer toutes ces données et à se préparer à l’arrivée du nouveau gouvernement.

Pour autant, même cette décision et le choix du moment devront faire l’objet d’une mûre réflexion, parce que cette coupure du cordon ombilical comporte de graves ramifications. Oui, à partir de ce moment et jusqu’à la fin du mandat du président, le double de la banque de données peut aider l’ORM à donner suite aux demandes d’information de la Maison-Blanche. Ce n’est cependant pas le seul aspect de la question.

Malheureusement, cette médaille a son revers. Le Bureau de la gestion des archives ne sera plus en mesure d’ajouter des données ni à l’ancienne ni à la nouvelle banque de données. Les archives informatisées de la Maison-Blanche seront arrivées à leur stade final, elles seront closes. Dès lors, la nature même des dossiers informatisés de ce gouvernement sera changée : ce sera une banque d’archives. D’une certaine façon, une fois le cordon ombilical coupé, l’organisme meurt. Ainsi, quand il choisit le moment de pratiquer cette intervention chirurgicale, l’ORM est douloureusement tiraillé entre son désir de faire table rase en prévision de l’arrivée d’un nouveau président et celui d’entrer le plus de données possible pour l’équipe du président sortant. La décision ne se prend pas à la légère.

Sur ces entrefaites, un autre facteur vient compliquer la situation tandis qu’on jette des regards inquiets sur le thermomètre et le ciel. La nature peut tout aussi bien nous mettre des bâtons dans les roues que sourire à notre entreprise, puisque celle-ci a lieu entre novembre et février. Dans le meilleur des cas, on espère que les températures seront supérieures à zéro. La pluie, le verglas et la neige seront des invités importuns : si en plus le thermomètre descend très nettement en-dessous de zéro, ce sera pire encore parce que le fonctionnement des semi-remorques et des chariots élévateurs se trouvera compromis. Les heures et les jours au temps clément deviendront des biens précieux.

Cela ne s’arrêtera pas là. La peur qu’il reste encore, le 19 janvier, de la documentation à traiter et à évacuer dans certains recoins du complexe de la Maison-Blanche est présente en filigrane tout au long de cette période. Le cas s’est déjà produit. En général, le 20 janvier au matin, rien ne bouge : ni les camions, ni les cartons. Seul un nombre très restreint de membres du personnel est autorisé à pénétrer sur les lieux. On entre dans une phase de « verrouillage total » en prévision du grand défilé qui aura lieu le long de l'avenue Pennsylvanie. Ce qui n’aura pas été évacué de la Maison-Blanche restera sur place jusqu’au lendemain. Malgré les complications que cela occasionnera, tout le monde se montrera compréhensif et acceptera la situation. Il y a un ordre de priorité, après tout. Et puis, ce n’est pas comme si les documents laissés à la traîne ne finiront jamais dans la bibliothèque du président sortant. Des semaines et des mois après l’arrivée du nouveau président, on découvrira des dossiers oubliés, dans des placards, dans des classeurs de rangement, dans des bureaux inoccupés. Une fois prévenu, l’ORM les transférera aux Archives nationales, qui se chargeront de les expédier à la bibliothèque du président précédent.

Bonjour et au revoir

L’horloge indique 12 h 15. Je dois maintenant quitter mon bureau dans le bâtiment Eisenhower pour me rendre dans l’aile ouest de la Maison-Blanche. Au moment où je m’approche de la porte qui donne sur cette section, je suis témoin d’une scène qui restera gravée de manière indélébile dans ma mémoire.

Plusieurs retardataires viennent de quitter les sous-sols de l’aile ouest alors que plusieurs membres du nouveau gouvernement s’en approchent. Bientôt, tout le monde s’arrête, incertain des règles du protocole qui s’appliquent dans cette situation. Ensuite, timidement, ils se serrent la main, un sourire jovial éclairant le visage de deux personnes tandis que deux autres n’ont qu’un sourire fatigué à offrir.

- Bonjour.

- Bon après-midi.

Saisissant la balle au bond, l’une des personnes qui part ne peut pas s’empêcher de faire une pointe d’humour politique. « Prenez soin des lieux, s’il vous plaît... On sera de retour dans quatre ans », dit-elle doucement avec un petit sourire.

Les nouveaux occupants sourient à leur tour, et l’un d’eux répond d’une voix qui dénote la compréhension : « D’accord. »

Et chacun part de son côté. Des poignées de mains, mais pas de coups de poings. Pas de barricades. Pas de fusils.

Et ainsi un cycle prend-il fin. Un autre commence. C'est la démocratie américaine à l’œuvre.

Les opinions exprimées dans le présent article ne représentent pas nécessairement les vues ou la politique du gouvernement des États-Unis.

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