La vaste mosaïque d'un peuple en mouvement

07 octobre 2008

L'identité américaine : une question d'idées, et non d'ethnicité

 
Des immigrés de mulitples ethnicités prêtent serment à Phoenix (Arizona) en 2007
Des immigrés prêtant serment à Phoenix (Arizona) démontrent que l’origine ethnique n’est pas pertinente aux É.U. (© AP Images)

Michael Jay Friedman

Depuis la fondation des États-Unis au XVIIIe siècle, les Américains se définissent en fonction non pas de leur identité raciale, religieuse et ethnique, mais de leurs valeurs communes et de leur attachement à la liberté individuelle.

 

Michael Jay Friedman est historien et membre de l'équipe des rédacteurs du Bureau des programmes d'information internationale, qui relève du département d'État des États-Unis.

 

En 2000, 35,9 % des habitants de New York étaient nés à l'étranger, selon le Bureau du recensement des États-Unis.

En 1782, six ans à peine après l'accession des États-Unis d'Amérique à l'indépendance, Benjamin Franklin donna quelques « renseignements à ceux qui comptaient se retirer en Amérique ». Parmi la constellation d'acteurs historiques plus grands que nature auxquels les Américains donneront le nom de « pères fondateurs », il était à bien des égards le plus typiquement américain. Si George Washington était auguste au point d'être inapprochable, Thomas Jefferson rat-de-bibliothèque et John Adams rébarbatif, c'est Benjamin Franklin qui comprit le mieux que ses compatriotes formaient un pays de « battants », pour reprendre le terme que l'historien Walter McDougall emploiera plus tard pour les décrire. Dans un tel pays, dit-il à l'intention des futurs immigrants :

La question que se posent les gens à propos d'un étranger n'est pas « Qui est-il ? », mais plutôt « Que sait-il faire ? » Et s'il possède un art utile, quel qu'il soit, il est le bienvenu ; et s'il l'exerce et qu'il se comporte bien, il sera respecté de tous ceux qui le connaissent.

La remarque de Benjamin Franklin se fondait dans une observation de première main. Dès 1750, les immigrés allemands étaient plus nombreux que ceux d'origine anglaise en Pennsylvanie, la colonie où il s'était établi. Les nouveaux venus avaient la réputation d'être industrieux et respectueux de la loi. Agriculteurs habiles, ils améliorèrent les sols et stimulèrent la croissance économique. En 1790, quand le Congrès adopta le premier texte de loi relatif à la naturalisation, il n'exigea aucune condition d'ordre ethnique ou religieux, aucune preuve d'alphabétisme, aucune condition en matière de biens immobiliers ; il suffisait de justifier de deux années de résidence, d'être une personne de bonne moralité et de prêter le serment de respecter la Constitution. Puisque l'identité américaine, comme l'avait compris Benjamin Franklin, est ancrée dans des actes et des attitudes, et qu'elle n'est pas une identité raciale, religieuse ou ethnique, les Américains diffèrent de bien d'autres peuples en ce qui concerne la façon dont ils se définissent et le type d'existence qu'ils choisissent de mener. L'adhésion à la communauté nationale, comme l'a fait remarquer un spécialiste des questions culturelles, M. Marc Pachter, « exige simplement la décision de devenir américain ».

Cette identité américaine commune embrasse un pluralisme qui transcende les divisions raciales, religieuses et ethniques. Elle englobe en outre un fort attachement civique à la liberté de l'individu et à un gouvernement représentatif, dont les pouvoirs sont limités et clairement définis et qui respecte cette liberté.

Creuset ou fourre-tout ?

Des immigrées vêtues de costumes traditionnels à New-York en 1959.
Des immigrées irakienne, indonésienne, indienne et turque devant la statue de la Liberté, en 1959. (© Bettmann/Corbis)

L'image que les Américains ont d'eux-mêmes s'est toujours ressentie d'une tension créatrice entre le pluralisme et l'assimilation. D'un côté, on a toujours attendu des immigrés qu'ils se fondent dans le « creuset » américain, pour reprendre une métaphore rendue célèbre en 1908 par le dramaturge Israel Zangwill dans sa pièce intitulée The Melting Pot (Le Creuset) et dans laquelle l'un des personnages fait la déclaration suivante :

« Comprenez bien que l'Amérique est le creuset de Dieu, le grand creuset dans lequel toutes les races de l'Europe se fondent et se reforment ! Fi de vos querelles et de vos vengeances ! Allemands et Français, Irlandais et Anglais, Juifs et Russes - allez hop, tous dans le creuset avec vous ! Dieu est en train de faire l'Américain. »

Israel Zangwill n'était d'ailleurs pas le premier à exprimer ces sentiments. Dès 1782, J. Hector St. John de Crèvecœur, immigré français et fin observateur de la vie américaine, décrivit ainsi ses nouveaux compatriotes :

« (...) un mélange d'Anglais, d'Écossais, d'Irlandais, de Français, de Hollandais, d'Allemands et de Suédois (…) Quel est donc ce nouvel homme, l'Américain ? Il n'est ni Européen ni le descendant d'un Européen ; d'où cet étrange mélange de sang, que l'on ne trouve nulle part ailleurs. Je pourrais vous signaler une famille dont le grand-père était Anglais, marié à une Hollandaise dont le fils épousa une Française, laquelle lui donna quatre enfants qui ont épousé chacun une femme d'une nationalité différente. Il est américain (…) et laisse derrière lui ses vieux préjugés et ses vieilles manières (…) »

Le creuset a cependant toujours existé parallèlement à un modèle concurrentiel, selon lequel chaque vague successive d'immigrants conserve dans une certaine mesure son caractère distinctif et enrichit le tout qu'est l'Amérique. En 1918, Randolph Bourne prôna « une Amérique transnationale ». Les premiers colons anglais, argua-t-il, « ne vinrent pas pour se faire assimiler dans un creuset américain (...). Ils vinrent pour obtenir la liberté de vivre à leur guise (...), pour faire fortune dans un nouveau pays. » Les immigrés venus ultérieurement, poursuit-il, ne se sont pas fondus dans une sorte d'américanisme homogène « sans goût et sans couleur » ; au contraire, ils ont ajouté leurs contributions distinctes à l'ensemble.

L'équilibre entre le concept du creuset et l'idéal transnational varie au fil du temps et selon les circonstances, aucun modèle n'ayant réussi à dominer pleinement l'autre. Sans aucun doute, les Américains ont cependant internalisé un autoportrait qui couvre un vaste éventail de races, de croyances et de couleurs. Pensez aux films célèbres qui dépeignent les soldats américains au combat pendant la Seconde Guerre mondiale : c'était un cliché à Hollywood que de réunir dans un même peloton un campagnard de l'Iowa, un Juif de Brooklyn, un menuisier polonais de Chicago, un ouvrier forestier des Appalaches et divers autres exemples tirés de la vie des hommes vers le milieu du xx e siècle. Au départ, ils ont tous du mal à surmonter leurs différences, mais avant la fin du film ils ont tissé des liens entre eux, parce qu'ils sont tous Américains. La réalité était un peu plus compliquée, à commencer par le fait que les soldats afro-américains n'étaient pas intégrés aux Blancs. Quoi qu'il en soit, ces films présentent l'identité américaine à laquelle croyaient, ou voulaient croire, les Américains.

Individualisme et tolérance

Si elle s'applique à toutes sortes de gens, l'identité américaine leur offre aussi une vaste gamme d'occasions de se faire et de se refaire. Traditionnellement, les Américains ont toujours boudé les efforts visant à exploiter les « accidents de naissance », par exemple les grandes fortunes transmises par héritage ou le rang social. Le premier article de la Constitution des États-Unis interdit au gouvernement de conférer des titres de noblesse, et ceux qui cultivent un air de supériorité à l'égard de leurs concitoyens sont souvent mal vus et accusés de « faire des manières », si ce n'est pire.

En revanche, les Américains respectent le « self-made man », l'homme (ou la femme) qui ne doit sa situation qu'à son travail, en particulier lorsque cette personne a dû surmonter de gros obstacles. L'écrivain américain Horatio Alger, de la fin du xixe siècle, jugé par l'Encyclopédie britannique comme l'écrivain peut-être le plus influent de sa génération sur le plan social, a exprimé ce concept dans ses récits où les jeunes cireurs de chaussures et d'autres enfants de la rue réussissaient à se hisser parmi les rangs des gens riches et célèbres grâce à leur ambition, leur talent, leur fortitude.

Aux États-Unis, c'est à chaque personne qu'il appartient de donner sa définition de la réussite. Pour certains, la réussite est une question de richesse financière, et nombreux sont les jeunes qui bricolent dans le garage de leurs parents, après avoir abandonné prématurément leurs études universitaires, dans l'espoir de créer une entreprise du genre de Google, de Microsoft ou d'Apple Computer. D'autres prisent les joies du sport, les créations musicales ou artistiques, la vie de famille. Parce que les Américains rejettent la notion de limite, leur identité nationale n'est pas restreinte, et ne peut pas l'être, à la couleur de la peau, aux liens de parenté, au choix d'un culte.

Les Américains n'ont pas tous les mêmes opinions politiques, ils optent pour des styles de vie différents (et même souvent aux antipodes les uns des autres) et ils insistent sur de vastes libertés individuelles, mais ils le font en témoignant d'un degré remarquable de tolérance mutuelle. Le caractère représentatif de leur gouvernement joue un rôle clé en la matière. Il n'est pas un Américain qui soit d'accord avec toutes les décisions prises par le gouvernement des États-Unis, mais tous savent qu'ils peuvent annuler ces décisions en persuadant leurs concitoyens de se prononcer en faveur du changement lors des prochaines élections.

Une autre clé réside dans les garanties puissantes qui protègent les droits de tous les Américains contre un gouvernement tentaculaire. La Constitution était à peine ratifiée que les Américains exigèrent, et obtinrent, leur fameuse Déclaration des droits, à savoir les dix premiers amendements à la Constitution qui sauvegardent les droits fondamentaux.

Le portrait de l'Américain « typique » n'existe pas, tout simplement. Des pères fondateurs avec leurs perruques et leurs poudres au champion de golf Tiger Woods qui est métis, les Américains ont une identité commune qui est enracinée dans le droit de vivre comme ils l'entendent, mais toujours dans le respect de la liberté d'autrui. Les résultats peuvent mystifier, intriguer, inspirer. La plus grande vedette cambodgienne de hip-hop vit dans le sud de la Californie (Américain d'origine khmer, il répond au nom de « praCH »). Walt Whitman, le poète qui se rapproche le plus de ce qu'on pourrait appeler un poète national, n'aurait pas été surpris. « Je suis vaste, je contiens des multitudes », fit-il dire à son pays.

Les opinions exprimées dans le présent article ne représentent pas nécessairement les vues ou la politique du gouvernement des États-Unis.

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