Le TGV, lancé en 1981 et considéré depuis comme un fleuron français, symbole de modernité et de progrès accessible au plus grand nombre, est au bout du rouleau. La Cour des comptes, qui vient de rendre public un rapport sur la grande vitesse ferroviaire, souligne que le modèle du TGV français n'est plus tenable dans les années à venir.
Les voyageurs, de moins en moins nombreux à l'emprunter, le trouvent trop cher. La SNCF, qui a tiré l'essentiel de ses bénéfices de cette activité, ne parvient plus à dégager le même niveau de profit et s'endette. Mais, de leur côté, les élus continuent à faire pression sur les politiques pour que de nouvelles lignes à grande vitesse soient construites sur leurs territoires alors que les caisses sont désespérément vides pour financer d'autres infrastructures. Et l'État ne dit pas non. Il fait comme si la situation était sous contrôle alors que les alarmes résonnent à plein volume: trop de destinations, des TGV roulant sur 40 % de leur trajet sur les lignes classiques, des projets de LGV lancés en dépit du bon sens… Trente-trois ans après le lancement du premier TGV, il semble que le modèle autrefois rentable soit à réinventer.
La direction de la SNCF a trop longtemps concentré son énergie sur cette activité non seulement profitable mais valorisante par la prouesse technologique des rames et par le défi de la vitesse. Aujourd'hui, elle ne braque plus ses projecteurs sur la grande vitesse. Elle les tourne sur les «trains du quotidien», ces TER et Transiliens utilisés chaque jour par des millions de Français. Il est vrai que le TGV est un peu le révélateur des maux qui frappent l'entreprise publique.
Financièrement, le TGV rapporte moins. Alors que le réseau de lignes à grande vitesse continue à s'étendre - le TGV Rhin-Rhône a été inauguré en 2011 -, la SNCF voit ses ventes reculer. Le TGV a ainsi rapporté 4,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2012. Mais en 2013 pour la première fois de son histoire, il a commencé à décliner, passant à 4,7 milliards d'euros, et la tendance se poursuit en 2014. La SNCF a tenté de faire face à ce phénomène en multipliant les petits prix, en inventant un TGV low-cost, Ouigo. Mais rien n'y fait. La rentabilité du TGV dégringole. La marge opérationnelle de 28 % en 2007 a fondu pour atteindre seulement 12 % en 2013. Un niveau insuffisant pour renouveler le parc de rames TGV, souligne Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF. Impossible de gonfler le prix des billets. Le sentiment de cherté du TGV a atteint son maximum. Ainsi, la Cour des comptes rappelle que la forte augmentation du chiffre d'affaires du TGV entre 2002 et 2012 repose sur la hausse du prix des billets plus que sur l'augmentation du trafic.
Peut-être la SNCF applique-t-elle un mode de calcul de sa marge opérationnelle particulièrement serré. D'après les magistrats de la rue Cambon, la SNCF considère qu'elle doit absorber, outre l'actif net pondéré par les capitaux, une part d'amortissement supplémentaire représentative du coût de remplacement futur de l'actif (notamment les rames TGV dont l'acquisition est projetée). Ceci revient en pratique à amortir aujourd'hui les investissements qui seront réalisés dans le futur. Un mode de calcul différent de celui de la Deutsche Bahn, grand concurrent de la SNCF, ce qui lui permet d'afficher un niveau de marge supérieur.
La Cour souligne que deux raisons expliquent l'exigence de rentabilité de la SNCF pour son activité TGV: depuis 2007, la SNCF est engagée dans l'achat de nouvelles rames TGV auprès d'Alstom pour des montants élevés afin de remplacer certaines rames plutôt que de les prolonger. Deuxième raison, le TGV permet d'avoir un segment d'activité rentable alors que les autres activités sont déficitaires (fret, trains Intercités…).
Certes, l'augmentation des péages versés à RFF, gestionnaire des voies ferrées, pour l'utilisation des lignes à grande vitesse a pesé sur les coûts de cette activité (+ 41 % entre 2008 et 2013). Ainsi le poids des péages rapporté aux recettes du TGV circulant en France est passé de 25,4 % en 2008 à 30,6 % en 2012. Mais d'autres charges contribuent à déséquilibrer l'activité: l'augmentation de la masse salariale - récemment relevée dans un rapport interne de la SNCF.
Si les magistrats de la rue Cambon sont entendus, la SNCF devrait passer ses coûts au rabot et présenter prochainement le plan de survie de son TGV. De son côté l'État pourra prendre l'engagement qu'il saura résister à la tentation d'étendre le réseau à grande vitesse au-delà du raisonnable.
La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) a regretté que le rapport de la Cour des comptes se limite à une «vision purement comptable» du système TGV. Selon l'association, les projets irrationnels de LGV méritent effectivement d'être dénoncés. Mais, contrairement aux magistrats de la Cour des comptes, elle juge que la «desserte fine» des territoires assure le succès commercial du TGV. «Réduire le nombre de gares pénaliserait les villes moyennes». Par ailleurs, l'ajout d'une correspondance «découragerait les voyageurs autant qu'une heure supplémentaire de trajet», estime la Fnaut.
Pour sa part Didier Migaud, premier président de la Cour des Comptes, a rappelé que les lignes à grande vitesse n'étaient pas la solution universelle pour répondre à tous les besoins de transport.